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Le mythe de l’androgyne et sa signification spirituelle

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Le mythe de l’androgyne : signification spirituelle. Comment interprรฉter l’androgynie ? Quel symbolisme cosmogonique ?

Dans le langage commun, un androgyne (du grec andros, “homme” et gunรช, “femme”) est un individu qui n’est pas clairement sexuรฉ : on ne peut dire s’il est homme ou femme.

Dans son sens spirituel, l’androgynie n’a pas de rapport avec l’apparence physique ou avec la transsexualitรฉ. Elle est le symbole spirituel de l’unitรฉ originelle du monde : elle traduit un dรฉpassement de la dualitรฉ, de la diffรฉrenciation.

On parle du “mythe de l’androgyne” en rรฉfรฉrence aux textes de la Grรจce antique (Platon, Le Banquet), mais aussi pour dรฉcrire quelque chose que l’humanitรฉ aurait perdu : un รฉtat primordial oubliรฉ, un caractรจre authentique au-delร  de nos perceptions erronรฉes.

Ainsi, l’androgynie serait une sorte d’รฉtat naturel, รฉdรฉnique, une essence pure ร  reconquรฉrir.

Tentons d’approcher le mythe de l’androgyne et sa signification spirituelle.

L’androgyne : dรฉfinition et signification spirituelle.

Dรฉfinition : L’androgyne est l’รชtre mythique indiffรฉrenciรฉ, non marquรฉ par la dualitรฉ, qui correspond ร  la condition de l’humanitรฉ avant le chรขtiment divin.

Cette indiffรฉrenciation concerne autant le corps que l’esprit :

  • sur le plan physique, l’androgyne n’est ni mรขle ni femelle : il transcende la bipolaritรฉ sexuelle,
  • sur le plan mental, il ne pense pas de maniรจre duale : il ne juge pas, il ne sรฉpare pas. Sa conscience est donc neutre et illimitรฉe : il a accรจs ร  la vรฉritรฉ.

Ainsi, l’androgynie traduit un รฉtat d’รชtre parfait et unitaire. Indiffรฉrenciรฉ, sans personnalitรฉ propre, l’androgyne est de fait un รชtre non bornรฉ par son “moi“. Il n’est pas qu’un individu parmi les autres, il est le “soi” universel, et par consรฉquent le Tout.

Son corps n’รฉtant plus une frontiรจre qui le sรฉpare du reste, l’androgyne รฉpouse le monde, se laisse traverser par lui. Sans identitรฉ, il est toute chose, infiniment grand. Son รฉtat a quelque chose ร  voir avec la nature mรชme de Dieu.

Le mythe de l’androgyne renvoie :

  • au dรฉbut des temps : l’androgyne est le premier homme, crรฉรฉ ร  l’image de Dieu. Dans le livre de la Genรจse 2, 22-24, la femme est crรฉรฉe ร  partir de l’une des cรดtes de l’homme, ce qui montre que le premier homme รฉtait indiffรฉrenciรฉ,
  • mais aussi ร  la fin des temps : les rรฉcits apocalyptiques annoncent la fin de la souffrance et le retour ร  l’รฉtat primordial. Pour accรฉder ร  cet รฉtat, il faudra traverser la mort, renoncer ร  sa personnalitรฉ et ร  ses attachements.

L’androgyne : un mythe, une quรชte.

L’androgyne est un mythe au sens oรน l’รชtre humain semble avoir perdu le contact avec sa vรฉritable nature. Prisonnier de ses illusions, l’Homme est mรป par la peur et le dรฉsir. Il se croit libre, autonome et sรฉparรฉ des autres. Il pense avoir raison, jugeant toute chose en bien ou en mal. Pรฉtri de certitudes, il vit dans l’erreur : c’est un รชtre dรฉcentrรฉ.

Au contraire, le sage se place en quรชte de l’androgyne qui someille en lui. Redevenir cet androgyne, c’est accรฉder ร  la gnose ou ร  la Connaissance parfaite.

Alors que le couple Adam et Eve reprรฉsente la chute dans la dualitรฉ (ils ont le malheur de croquer du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal), l’androgyne exprime l’unitรฉ retrouvรฉe.

Une rรฉconciliation qui, d’une certaine maniรจre, rappelle le mariage (c’est pourquoi l’homme quittera son pรจre et sa mรจre, et s’attachera ร  sa femme, et ils deviendront une seule chair, selon Genรจse 2, 24) ou encore l’enfant ร  naรฎtre.

Le mythe de l’androgyne : une lรฉgende platonicienne.

C’est Platon qui, dans Le Banquet, rรฉsume le mieux le mythe de l’androgyne :

Jadis la nature humaine รฉtait bien diffรฉrente de ce qu’elle est aujourd’hui. D’abord il y avait trois sortes d’hommes : les deux sexes qui subsistent encore, et un troisiรจme composรฉ de ces deux-lร  ; il a รฉtรฉ dรฉtruit, la seule chose qui en reste c’est le nom. Cet animal formait une espรจce particuliรจre et s’appelait androgyne, parce qu’il rรฉunissait le sexe masculin et le sexe fรฉminin ; mais il n’existe plus, et son nom est en opprobre.
Platon, Le Banquet (189)

Platon dรฉcrit des androgynes punis par Zeus puis sรฉparรฉs en hommes et femmes : un rรฉcit qui rappelle directement le livre de la Genรจse.

Le mythe de l’androgyne connaรฎtra son heure de gloire bien plus tard, au XIXรจme siรจcle, ร  l’apogรฉe du romantisme.

Un mythe parallรจle : Hermaphrodite.

Dans la mythologie grecque, Hermaphrodite (fils de Hermรจs et d’Aphrodite) est un bel adolescent qui rencontre un jour la naรฏade Salmacis. Cette derniรจre s’รฉprend du jeune homme et obtient des dieux d’รชtre unie ร  lui pour toujours : les deux personnages forment alors un seul รชtre, ร  la fois mรขle et femelle.

Autres parallรจles symboliques.

Le mythe de l’androgyne peut รชtre rapprochรฉ d’autres mythes ou symboles, tels que :

  • L’oeuf du monde : c’est l’expression du monde-totalitรฉ. L’androgyne peut รชtre vu comme l’individu ร  l’รฉtat de fล“tus (en forme d’oeuf). Indiffรฉrenciรฉ, monocellulaire, l’oeuf est vouรฉ ร  gรฉnรฉrer toute chose diffรฉrenciรฉe,
  • Adam Kadmon : dans la Kabbale, Adam Kadmon est l’homme primordial, l’รชtre suprรชme (ร  ne pas confondre avec l’Adam du livre de la Genรจse) qui correspond au premier monde spirituel dans lequel s’inscrivent les 10 Sephiroth,
  • le taijitu (symbole taoรฏste du yin et du yang) : c’est l’image trรจs parlante de la dualitรฉ rรฉunie dans l’unitรฉ,
  • Le centre ou le milieu : l’androgyne se tient au point d’รฉquilibre cosmique, lร  oรน passe l’axe du monde (ce dernier correspond ร  l’arbre de vie qui trรดne au milieu du jardin d’Eden),
  • Le lemniscate (signe de l’infini ou “huit couchรฉ”),
  • L’Ouroboros : symbole d’Un-le-Tout en alchimie,
  • La Pierre philosophale : c’est la pierre sacrรฉe des alchimistes, symbole de l’individu spiritualisรฉ. On trouve aussi le terme d’androgyne hermรฉtique,
  • La parole perdue : thรจme prรฉsent dans les grandes traditions spirituelles, la parole perdue reprรฉsente la vรฉritรฉ inaccessible, masquรฉe par l’ego,
  • Le chiffre 3 : c’est le symbole le plus รฉvident de l’union des contraires, de la rรฉconciliation des opposรฉs,
  • La lettre hรฉbraรฏque Tsadรฉ,
  • Le soleil et la lune : ce sont deux astres opposรฉs mais complรฉmentaires qui accompagnent souvent les reprรฉsentations de l’androgyne. On aurait pu aussi รฉvoquer le feu et l’eau, ou bien l’or et l’argent,
  • La licorne : animal qui reprรฉsente l’alliance entre la nature sauvage et le principe masculin fixateur (la corne sur le front de la licorne).

Parmi les symboles ci-dessus, beaucoup se rattachent ร  la tradition hermรฉtique (alchimie spirituelle). Selon cette approche, il existe deux รฉnergies cosmiques fondamentales :

  • le pรดle femelle se caractรฉrise par le changement, les cycles de la vie et de la mort, le dรฉsir, la convoitise, la violence, la spontanรฉitรฉ et l’inconscience (cf. le symbolisme de lโ€™Eau, de la Lune et du Mercure alchimique),
  • le pรดle mรขle se caractรฉrise par la cohรฉrence, la stabilitรฉ, la conscience et la raison. Il est associรฉ au symbolisme du Feu, du Soleil, de lโ€™Or ou encore du Soufre. Il est le centre spirituel รฉternel.

Ces deux รฉnergies ont vocation ร  s’unifier et s’harmoniser. Sur le plan humain, cela aboutit ร  la naissance de l’androgyne hermรฉtique : l’รชtre parfait ou Rebis (de res bina : “chose double”).

Voilร  donc rรฉalisรฉe l’oeuvre alchimique, qui correspond au dรฉpassement des รฉtats particuliers de la matiรจre :

Rebis – Androgyne alchimique

Les reprรฉsentations artistiques de l’androgyne.

De nombreux rois et empereurs se sont faits reprรฉsenter sous les traits d’un androgyne, par exemple Franรงois Ier.

Lรฉonard de Vinci ou plus prรจs de nous Marc Chagall sont connus pour avoir reprรฉsentรฉ des personnages androgynes.

Parfois, l’androgyne est reprรฉsentรฉ par une figure humaine dotรฉe de deux tรชtes, l’une masculine, l’autre fรฉminine, de quatre jambes et d’organes gรฉnitaux des deux types :

Conclusion sur le mythe de l’androgyne et sa signification spirituelle.

Comme l’ont montrรฉ les biologistes, aucun รชtre humain n’est totalement mรขle ou femelle. Chacun de nous comporte les deux aspects, de la mรชme maniรจre qu’il y a un point noir yin dans la partie yang, et un point blanc yang dans la partie yin du taijitu.

Prendre conscience de l’androgyne que nous sommes, c’est dรฉjร  nous placer sur le chemin de l’รฉveil.

Ainsi, la signification du mythe de l’androgyne est celle de l’รชtre รฉveillรฉ. Ayant retrouvรฉ son authenticitรฉ primordiale, cet individu est l’รชtre-monde. Il est celui qui, ayant abandonnรฉ son ego et son individualitรฉ, a compris qu’il รฉtait le reflet du cosmos tout entier.

Le mythe de l’androgyne รฉvoque une parfaite superposition entre humain et divin, immanence et transcendance, matiรจre et esprit, รชtre et non-รชtre. L’androgynie est un Graal spirituel qui promet une rรฉconciliation dรฉfinitive avec soi-mรชme et le monde.

Cet รฉtat dโ€™unitรฉ rappelle le but du yoga. Dans le yoga, samadhi exprime l’atteinte d’un รฉtat libre de tout conditionnement et de toute pensรฉe individuelle. Il en dรฉcoule un รฉtat de bonheur et de libertรฉ dans lequel la dualitรฉ n’existe plus.

Mais c’est le tao du taoรฏsme qui est sans doute le concept qui dรฉcrit le mieux le mythe de l’androgyne : le tao est la Voie, la Source, le chemin qui mรจne au centre du monde et au centre de Soi. Vide de tout dรฉsir, ce centre constitue l’absolue vรฉritรฉ.

Au final, le symbolisme de l’androgyne nous met sur la voie de l’acceptation, de la sรฉrรฉnitรฉ et de la sagesse. Il aide aussi ร  mieux aborder la mort, รฉtat dans lequel l’individu abandonne dรฉfinitivement son individualitรฉ pour regagner le Tout.

Dรฉpasser tous les paradoxes pour devenir un : telle est la promesse de l’androgyne.

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Pour votre bibliothรจque :

  • Comment regarder les Symboles et Allรฉgories, de Matilde Battistini. Un trรจs beau travail dโ€™analyse des symboles prรฉsents dans les ล“uvres dโ€™art, permettant dโ€™accรฉder au sens cachรฉ de certains des plus beaux tableaux de lโ€™histoire.
  • Le dictionnaire des symbolesde Gheerbrant et Chevalier. Avec ses 1600 articles, cet ouvrage est une rรฉfรฉrence dans lโ€™รฉtude des symboles et des chiffres.

Modif. le 25 mars 2021

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