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La Table d’Emeraude : texte complet et interprétation

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La Table d’Emeraude : texte complet et signification de ce célèbre manuscrit alchimique. Quel est le sens caché de la Tabula Smaragdina ? Comment l’interpréter ?

La Table d’Emeraude (Tabula Smaragdina en latin) est l’un des textes fondateurs de l’hermétisme et de l’alchimie, attribué selon la légende à Hermès Trismégiste.

Hermès Trismégiste n’a pas réellement existé : c’est un personnage mythique créé au cours de l’Antiquité gréco-égyptienne. En effet, les Grecs installés en Egypte ont assimilé leur dieu Hermès à Thot, dieu égyptien de la Lune, de la guérison, de la magie et des scribes. La correspondance entre ces noms divins est validée entre autres par les inscriptions de la Pierre de Rosette.

A partir du IIème siècle après J-C, le personnage d’Hermès Trismégiste apparaît : il est présenté comme le descendant direct du dieu Hermès-Thot. Dès lors, Hermès Trismégiste est considéré comme le dieu du savoir et de la connaissance cachée. On lui attribue un grand nombre de traités de science, de philosophie, de magie et de médecine.

Parmi ces textes figure la célèbre Table d’Emeraude : un texte court, mais obscur et « hermétique » dans tous les sens du terme.

La Table d’Emeraude constitue cependant l’un des écrits les plus accessibles de l’hermétisme. Les formules employées sont moins impénétrables que celles de beaucoup de textes plus tardifs, tant les alchimistes de toutes les époques (et de la Renaissance en particulier) se sont employés à coder leurs écrits et à brouiller volontairement les cartes. Accessible donc, mais sûrement pas à première lecture…

Aujourd’hui, la Table d’Emeraude est plus que jamais un texte de référence pour les hermétistes, les alchimistes, les franc-maçons ainsi que nombre d’adeptes de courants ésotériques et occultistes dont le but est de tenter de percer les mystères de l’existence. C’est l’un des textes mystiques et philosophiques les plus étudiés.

Entrons dans les mystères de la Table d’Emeraude et sa signification cachée.

L’origine de la Table d’Emeraude.

La Table d’Emeraude est censée avoir été composée durant l’Antiquité gréco-égyptienne. Mais ce sont les arabes qui l’ont transmise aux occidentaux, autour du Xème siècle.

Le manuscrit arabe le plus ancien date du VIème siècle (mais on dispose seulement d’une copie du IXème siècle) : il serait lui-même basé sur un manuscrit en langue grecque datant du IVème siècle après J-C, et qui proviendrait d’Alexandrie.

En effet, des confréries hermétiques et gnostiques se développent dès la fin du Ier siècle autour d’Alexandrie, fondées par des Grecs et des Egyptiens qui n’hésitent pas à associer les principes de la philosophie grecque aux croyances de l’Egypte ancienne. Ainsi, la pensée rationnelle grecque évolue peu à peu vers la magie et l’astrologie, et de véritables cultes à Mystères sont fondés. L’hermétisme naît véritablement au IIIème siècle, époque à laquelle on constate l’apparition de nombreux textes attribués à Hermès Trismégiste.

Passés en occident, les traités hermétiques contenant la Table d’Emeraude sont traduits en latin au XIIème siècle (Hugues de Santalla, Jean de Séville, Philippe de Tripoli…).

Les alchimistes du Moyen-Age et de la Renaissance s’approprient ensuite ce texte et finissent par le considérer comme leur référence absolue.

Pourquoi ce texte s’appelle-t-il « Table d’Emeraude » ?

Selon les différentes légendes, notamment celle évoquée dans le texte arabe du Livre du secret de la Création (le plus ancien manuscrit arabe contenant la Table d’Emeraude), Hermès Trismégiste aurait fait graver le texte sacré sur une tablette en émeraude, qu’il aurait déposée dans sa tombe avant de s’élever vers le ciel.

D’autres versions font état de la découverte, dans un temple, une crypte, ou encore la chambre secrète d’une pyramide, d’un vieillard assis sur un trône, tenant la tablette d’émeraude ainsi qu’un livre. Ce vieillard serait Hermès Trismégiste lui-même.

A noter que l’émeraude est la pierre précieuse traditionnellement associée au dieu Hermès.

Enfin, selon une légende médiévale, arthurienne et alchimique, une émeraude serait tombée du front de Lucifer durant son combat avec l’archange Michel. Rappelons que Lucifer, le plus lumineux des anges de Dieu, s’est retourné contre son Créateur (on a là le symbolisme de la Chute). Après la perte de cette pierre, Lucifer est condamné à errer misérablement jusqu’à ce qu’il retrouve l’émeraude. Cette pierre aurait le pouvoir de métamorphoser tous ceux qui la touchent, et de conférer l’immortalité. Plusieurs légendes rapportent que le Graal serait un vase taillé dans l’émeraude de Lucifer.

Avec un peu d’imagination, on peut donc associer Table d’Emeraude et Graal.

La Table d’Emeraude : texte complet.

Voici le texte complet de la Table d’Emeraude :

Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé.

Tentons maintenant d’interpréter le texte de la Table d’Emeraude.

La Table d’Emeraude : signification, interprétation.

Selon la légende, la Table d’Emeraude contient l’explication des secrets qu’Hermès Trismégiste détenait, et qu’il aurait cachés aux hommes.

C’est un texte cosmogonique, qui a donc vocation à expliquer l’origine, la nature et la structure du cosmos.

Voici quelques pistes d’interprétation de la Table d’Emeraude.

« Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut… »

Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation.

Le texte parle des miracles d’une seule chose, qui fait naître toutes les choses, c’est-à-dire tous les éléments. Les éléments s’adaptent et se combinent par l’intermédiaire de cette chose, qui exprime une unité fondamentale, une sorte de liant, de cohérence supérieure. C’est, pour Hermès Trismégiste, la clé de compréhension de tout.

Cette « chose unique » rappelle deux concepts importants en alchimie :

  • Un-le-Tout : c’est l’expression du principe unitaire du monde, qui est à la fois la Source, le cosmos, la Nature vivante et changeante. Un-le-Tout est à la fois l’être et la cause de l’être : il est lui-même mais aussi le dépassement de lui-même,
  • la Quintessence : c’est la substance des substances, celle qui pénètre toute chose et assure la sympathie des éléments de l’ensemble.

La « chose unique » est à la fois créatrice et création, active et passive : elle dépasse tous les opposés, elle réconcilie tous les contraires. De là découle la perception alchimique de la dualité, ce qui nous amène à évoquer le « haut » et le « bas ».

Dans ce passage, la Table d’Emeraude évoque une correspondance entre le bas et le haut, qui est devenue fondamentale en alchimie. Elle peut se comprendre comme :

  • la complémentarité entre le Soleil et la Lune : il s’agit là de deux énergies contraires mais qui fondent la cohérence de l’univers. Le Soleil est mâle, ordonnateur et actif, alors que la Lune est femelle, chaotique et passive,
  • la complémentarité entre le Feu et l’Eau (issus du Soleil et de la Lune), dont les symboles triangulaires se rencontrent et se superposent dans le Sceau de Salomon,
  • l’opposition et en même temps l’équivalence entre l’élément le plus épais (la Terre) et l’élément le plus subtil (le Feu),
  • ou encore entre l’équivalence entre le macrocosme (le cosmos tout entier) et le microcosme (l’homme à l’image du Tout) : c’est l’interprétation la plus courante et la plus célèbre.

La correspondance entre le macrocosme et le microcosme peut être schématiquement décrite comme suit :

éléments alchimiques microcosme macrocosme

« Le soleil en est le père, la lune est sa mère… »

Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici.

On retrouve dans ce passage les deux énergies fondamentales déjà évoquées plus haut (le Soleil et la Lune dans leur sens alchimique) ainsi que les 4 éléments inclus dans le Tout.

La paternité solaire évoque l’aspect divin de la création, qui a vocation à dominer, à organiser la matière. Le côté lunaire représente quant à lui la nature déployée, épanouie mais désorganisée, inconsciente et chaotique : c’est la matrice au sens cosmique du terme, le dragon à dompter.

Le vent évoque l’élément Air, qui porte et diffuse le principe solaire : il invite à s’élever vers la compréhension de toute chose.

Enfin, la Terre est la matière, certes brute et opaque, mais qui agglomère en elle tous les éléments précédents : la Terre est leur nourrice. Il conviendra d’explorer la Terre-matière pour opérer en son coeur une séparation (c’est l’Oeuvre au noir) afin d’extraire le principe vital lui-même porteur du principe supérieur (c’est l’Oeuvre au blanc), avant de réintroduire dans la Terre les principes subtils ainsi révélés (c’est l’Oeuvre au rouge).

Ainsi, la matière (la terre, le Corps) renaît, mais elle est désormais comprise et spiritualisée.

D’autre part, le mot « telesme » renvoie dans la langue arabe à la divination, au secret. Ici, le mot arabe tilasm (talisman) a été retranscrit en telesmus (latin) ou telesme en français. Il faut souligner qu’à l’origine, la Table d’Emeraude était un texte de magie talismanique.

« Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre… »

Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.

Ce passage de la Table d’Emeraude est un parfait résumé du processus alchimique ou « Grand Oeuvre ».

« Séparer la Terre du Feu » constitue le coeur de l’opération : il s’agit de reconnaître ce qui, dans la matière, relève du principe supérieur (le Soleil). C’est ce qui permettra d’accéder au plus grand des secrets de l’univers.

Il y a ici l’idée d’un principe immanent, c’est-à-dire inclus dans la matière elle-même. Séparé, ce principe dévoile son caractère transcendant : il ouvre le chemin vers Dieu.

Le processus alchimique comporte plusieurs étapes, que vous avons déjà évoquées plus haut. Il s’agit donc de « séparer le subtil de l’épais » :

  • la Terre (qui peut aussi être vue comme le corps, l’individu obscur) est considérée comme épaisse, vulgaire, opaque, puisque tout y est aggloméré sans distinction. La terre n’est pas mauvaise en elle-même, elle est simplement confuse.
  • l’Eau, l’Air et le Feu sont des états de plus en plus subtils de la matière, qu’il convient peu à peu de déceler. L’Eau dissout la Terre, révélant la vie, l’âme changeante. Cette âme peut ensuite s’élever vers le haut, vers le principe supérieur (le Feu), avec lequel elle est destinée à s’unir.

Cette oeuvre de séparation doit s’effectuer « doucement, avec grande industrie ». Le risque est en effet de passer à côté de l’essentiel et d’emporter, lors du processus d’affinage, des scories, c’est-à-dire des défauts de la matière agglomérée. L’individu perdrait alors son âme en sombrant dans l’orgueil.

Au final, l’ensemble des éléments subtils révélés devront être réintégrés à la matière : la force de l’homme éveillé ne pourra se révéler qu’à travers un retour au Corps, plein et entier. C’est la « conversion en terre ».

Ce passage de la Table d’Emeraude traduit donc un double mouvement d’ascension et redescente.

On l’a vu, la Terre comporte en elle-même tous les principes : elle est une base totalisante, incontournable. Mais, révélé, son principe découle d’en-haut. On a donc une correspondance parfaite entre le bas et le haut.

« Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde… »

Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici.

Le processus alchimique révèle la structure cachée de la matière : c’est une prise de conscience de la nature profonde du cosmos et de son fonctionnement. De fait, l’alchimie est avant tout une aventure humaine : c’est un chemin d’élévation intime, une quête qui mène à la gnose, ou « connaissance parfaite ».

L’homme éveillé est celui duquel « toute obscurité » s’est enfuie. Ayant renoncé à la matière vulgaire et agglomérée (les illusions, l’orgueil, l’ego déraisonnable…), il s’ouvre au côté universel et éternel de son être, ainsi qu’à la transcendance. Il atteindra ainsi la vraie « gloire ».

L’objectif de l’alchimie est donc de tirer la force (la conscience suprême) de la force (la matière totalisante) : voilà une définition de la Quintessence.

Ainsi, à travers une parfaite connaissance de lui-même, l’être universel pourra vaincre toute chose subtile (accéder au principe supérieur) et pénétrer toute chose solide (comprendre ce que recèle son Corps).

« C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste… »

C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé.

Cette conclusion de la Table d’Emeraude est la promesse d’un accomplissement total : l’objectif d’élévation est atteint par le déroulement et la finalisation du processus alchimique.

Les « trois parties de la philosophie » qui sont évoquées renvoient directement au nom « Trismégiste », qui signifie « trois fois grand », ou « trois fois puissant ». Ces trois parties peuvent renvoyer :

  • aux trois principes fondamentaux de l’alchimie : le Soufre (le Feu divin), le Mercure (l’Eau, la vie) et le Sel (la matière figée),
  • à l’oeuvre de la nature à travers ses trois règnes : le minéral (le Corps, la Terre), le végétal (l’inconscient, l’Eau) et l’animal (l’âme consciente).

La Tabula Smaragdina et VITRIOL.

A partir du XVIème siècle, le texte de la Table d’Emeraude est souvent accompagné de la représentation symbolique suivante, autour de laquelle on lit l’inscription Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, c’est-à-dire « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée », donnant l’acronyme VITRIOL, lequel est très commenté en franc-maçonnerie :

VITRIOL Tabula Smaragdina Hermetis

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Modif. le 8 février 2024

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