Le symbolisme du miroir : comment l’interprรฉter ? Quelle est la signification du miroir en philosophie, psychologie ou franc-maรงonnerie ?
Le miroir, surface rรฉflรฉchissante, recouvre un symbolisme riche, complexe et ambivalent.
“Symbole du symbolisme”, passerelle entre le monde du connaรฎtre et le monde de l’รชtre, le miroir fascine et dรฉrange.
Le miroir renvoie notre propre image : celle-ci peut รชtre fidรจle, illusoire ou inattendue.
Le miroir n’est pas qu’un objet. Une parole, une comparaison, une mรฉtaphore ou une parabole peuvent jouer le rรดle de miroir. Un journal, une caricature, une oeuvre d’art sont aussi des miroirs.
Par ailleurs, le miroir introduit l’autre. L’autre est le miroir de nous-mรชme, comme le dit Platon : Tu nโas pas รฉtรฉ sans remarquer, nโest-ce pas, que quand nous regardons lโลil qui est en face de nous, notre visage se rรฉflรฉchit dans ce que nous appelons la pupille, comme dans un miroir ; celui qui regarde y voit son image.
Le miroir peut รชtre vu รฉgalement comme la descente de lโรขme dans la matiรจre…
Entrons dans le symbolisme du miroir.
Le symbolisme du miroir : gรฉnรฉralitรฉs.
Les miroirs feraient bien de rรฉflรฉchir avant de renvoyer les images…
Jean Cocteau
Le miroir รฉvoque :
- la vรฉritรฉ : il reflรจte l’image de la rรฉalitรฉ telle qu’elle est,
- la connaissance de soi : le miroir nous met face ร nous-mรชmes. A ce titre, le miroir est lโinstrument de la scission, car pour se connaรฎtre, se comparer et sโapprรฉcier, il faut se voir deux. Notons que si le miroir permet de se connaรฎtre, il ne sโagit pas dโune connaissance directe, mais dโune connaissance indirecte et discursive, qui nรฉcessite lโintervention dโun raisonnement.
Dans les contes et dans diffรฉrentes traditions, le miroir est associรฉ ร la magie et ร la divination. Certains miroirs parlent et disent la vรฉritรฉ, par exemple celui de la mรฉchante reine dans Blanche-Neige (conte des frรจres Grimm basรฉ sur un mythe germanique, 1812).
Sur un plan plus nรฉgatif, le miroir peut รฉvoquer :
- l’illusion,
- l’apparence : le miroir empรชche de voir plus loin que la surface des choses,
- le rรชve et l’inconscient,
- l’oubli : le miroir absorbe les images sans s’en souvenir,
- les limites personnelles : le miroir est un mur froid, silencieux, infranchissable,
- la honte ou au contraire la vanitรฉ,
- le malheur (miroir cassรฉ),
- le silence,
- la solitude. Mon รขme hurlante se dรฉbat dans un labyrinthe dont les miroirs reflรจtent ร l’infini sa solitude. Ugo Bellagamba
Le miroir peut enfin reprรฉsenter :
- le renversement : l’image reflรฉtรฉe est inversรฉe, รฉvoquant un point de vue diffรฉrent, un retournement de la pensรฉe, un sens nouveau,
- le cachรฉ : le miroir รฉvoque le monde perdu, le paradis que nous ne sommes plus en capacitรฉ de voir,
- un point de passage, une porte mystรฉrieuse, comme dans le roman Alice au pays des merveilles (Lewis Carroll, 1865). Traverser le miroir signifie se confronter ร l’intimitรฉ de son psychisme. C’est l’opportunitรฉ de visiter son inconscient. C’est la possibilitรฉ de rencontrer son Soi vรฉritable (diffรฉrent du “moi” de Freud), c’est-ร -dire son รชtre universel.
Le miroir invite ร dรฉcouvrir le sens cachรฉ des choses. Il reflรจte notre avancement spirituel, l’รฉtat de notre conscience :
- l’individu peu avancรฉ n’y verra que l’image de ce qu’il pense รชtre,
- l’รชtre plus avancรฉ y cherchera la vรฉritรฉ,
- l’รชtre รฉveillรฉ y verra peut-รชtre le reflet du divin.
Remarque : les vampires, sans รขme, sont incapables de se voir dans un miroir. Selon certaines lรฉgendes, le miroir est un moyen de les repousser.
Le symbole de la “rรฉflexion”.
Le miroir est avant tout le symbole de la “rรฉflexion”. En latin, miroir se dit speculum, qui a donnรฉ le mot spรฉculation, synonyme de raisonnement.
La rรฉflexion est un renvoi de la lumiรจre qui permet un รฉclairage nouveau.
La rรฉflexion est l’acte de la pensรฉe qui revient sur elle-mรชme afin de l’examiner et de la rรฉexaminer. C’est la raison pour laquelle le miroir est le symbole de la Prudence : une des quatre vertus cardinales chrรฉtiennes.
Rรฉflรฉchir, c’est donc s’interroger, puis rรฉinterroger sa propre rรฉponse. La rรฉflexion invite au recul sur la pensรฉe, donc au recul sur soi-mรชme. Elle ouvre de nouveaux chemins de conscience.
Le miroir, l’รขme, le fรฉminin, l’eau et la lune.
Le miroir peut d’abord รชtre vu comme un symbole solaire : il renvoie les rayons de lumiรจre symbolisant le Verbe, le logos ou l’absolue vรฉritรฉ. Il reprรฉsente alors l’oeil de Dieu.
Le miroir est parfois reprรฉsentรฉ sous la forme d’un disque entourรฉ de rayons :
Mais le miroir est aussi et surtout associรฉ ร la lune, ร l’eau et au principe fรฉminin pour reprรฉsenter l’รขme changeante.
La lune รฉvoque la rรชverie, les illusions, le monde de la nuit et ses mystรจres, ainsi que le pouvoir de l’inconscient.
L’eau reflรจte une image plus ou moins dรฉformรฉe de nous-mรชme, selon que la surface est calme ou agitรฉe. L’eau est ร l’image de notre psychisme : plus ou moins apaisรฉ, plus ou moins clair. En physique et en alchimie, l’eau peut aussi bien รชtre attirรฉe vers le bas (forme liquide) que vers le haut (forme gazeuse).
Enfin, le miroir est un objet traditionnellement fรฉminin. Dans l’Antiquitรฉ, le miroir รฉtait l’attribut de Vรฉnus, dรฉesse romaine de l’amour, de la sรฉduction et de la beautรฉ fรฉminine.
Miroir, ego et narcissisme.
En psychologie, le stade du miroir dรฉsigne le moment du dรฉveloppement oรน l’enfant prend conscience de son corps, et le diffรฉrencie des autres. C’est l’apparition du “je”, qui se traduit par une jubilation. Certains animaux sont aussi en capacitรฉ de se reconnaรฎtre dans un miroir.
En psychanalyse, le miroir renvoie au surmoi (le gendarme intรฉrieur qui censure les bas instincts afin de permettre l’intรฉgration sociale), ร l’idรฉal du moi (intรฉrรชts narcissiques de l’individu) et au moi (ego vu en tant que mรฉcanisme de conciliation des attentes psychiques contradictoires de l’individu).
Consciemment ou inconsciemment, l’individu se regarde comme dans un miroir pour ajuster son comportement social : il tente de percevoir son image dans le regard des autres.
Le miroir peut symboliser la dรฉrive narcissique : l’individu dรฉveloppe un rapport dรฉrรฉglรฉ ร sa propre image, qui mรจne au repliement sur soi et ร l’aliรฉnation.
Remarque : Dans la mythologie, Narcisse boit ร une source, voit son reflet dans l’eau et en tombe amoureux. Aprรจs de longs jours ร se contempler et ร dรฉsespรฉrer de ne pouvoir attraper son image, il finit par dรฉpรฉrir puis meurt.
Il atteindra la vieillesse, sโil ne se connaรฎt pas.
Prophรฉtie de Tirรฉsias ร propos de Narcisse (Ovide)
Dans le shintoรฏsme, Amaterasu, dรฉesse du soleil, finit par sortir de sa grotte, attirรฉe par son image reflรฉtรฉe dans un miroir octogonal.
Enfin, dans certaines traditions comme le judaรฏsme, on couvre les miroirs de la maison du mort.
Le symbolisme du miroir dans l’art.
Dรจs la fin du Moyen-Age, le miroir est considรฉrรฉ comme l’emblรจme des arts plastiques : le miroir, ร la maniรจre d’un tableau ou d’une photo, reflรจte les choses de faรงon plus ou moins rรฉaliste. Le miroir raconte le monde.
Dans la peinture de la Renaissance, le miroir joue un rรดle important. Tantรดt diabolique, tantรดt divin, il reflรจte le vrai ou le faux. Il est utilisรฉ pour reprรฉsenter la vanitรฉ, l’attachement, ou l’au-delร . Il appelle ร la mรฉditation et ร l’รฉlรฉvation de l’รขme.
Le miroir se retrouve en particulier au centre de deux types dโลuvres : la mise en abyme et l’auto-portrait. La mise en abyme est un procรฉdรฉ consistant ร reprรฉsenter une ลuvre dans une ลuvre, comme ci-dessous.
Les รpoux Arnolfini (1434), Jan van Eyck
Le thรจme du miroir dans la poรฉsie.
Les poรจtes ont eux-aussi รฉprouvรฉ le thรจme du miroir, par exemple Baudelaire :
Homme libre, toujours tu chรฉriras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton รขme
Dans le dรฉroulement infini de sa lame,
Et ton esprit nโest pas un gouffre moins amer.
Tu te plais ร plonger au sein de ton image ;
Tu lโembrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Lโhomme et la mer
Citons aussi le poรจme Elsa au miroir, de Louis Aragon.
Le symbolisme du miroir en franc-maรงonnerie : la connaissance de soi.
En franc-maรงonnerie, le miroir est l’outil de la quรชte de soi par excellence.
Le nouvel initiรฉ le rencontre ร deux reprises :
- dans le cabinet de rรฉflexion, lors de l’รฉpreuve de la terre. La prรฉsence du miroir invite ร l’introspection, en regard de la formule VITRIOL,
- lors de la scรจne du miroir : ร la fin de la cรฉrรฉmonie d’initiation, le Vรฉnรฉrable Maรฎtre invite le nรฉophyte ร scruter l’assemblรฉe ร la recherche d’รฉventuels ennemis. Puis il invite l’impรฉtrant ร se retourner. Un miroir se trouve derriรจre lui. Le Vรฉnรฉrable Maรฎtre dit : Ce n’est pas toujours devant soi qu’on rencontre des ennemis ; les plus ร craindre se trouvent souvent derriรจre soi. Le message est clair : l’ennemi, insaisissable, est en soi-mรชme. Ce sont les mauvais compagnons.
Regarder le miroir nous fait nous interroger sur nous-mรชme. Qui sommes-nous ? Quelle est la nature de notre รชtre profond ? La quรชte de soi est au coeur du symbolisme maรงonnique.
Le miroir รฉvoque aussi l’ลil au centre du Delta lumineux, symbolisant le Grand Architecte de l’Univers.
Au final, le miroir maรงonnique revรชt une double symbolique, puisquโil est ร la fois un outil dโintrospection, et un passage vers une nouvelle dimension.
En conclusion.
Le miroir peut aussi bien รชtre synonyme de jubilation narcissique, d’angoisse ou d’amour. Il peut aussi bien รฉvoquer le sommeil de l’รขme ou au contraire l’รฉveil.
Le miroir invite ร dรฉpasser les illusions pour accรฉder ร la connaissance de soi, tremplin vers la Connaissance universelle. Cette quรชte de l’immanence nous ouvre ร la transcendance.
A la fois raison et intuition, vรฉritรฉ et imagination, le miroir nous entraรฎne sur le chemin du mystรจre de l’existence, entre รชtre et non-รชtre, unitรฉ et dualitรฉ.
Le miroir nous guidera peut-รชtre vers la dรฉcouverte de notre nature profonde : notre image pourrait bien alors se confondre avec l’image de l’Eternel. Il est dit en effet que l’Homme a รฉtรฉ fait ร l’image de Dieu : le microcosme serait alors le parfait reflet du macrocosme.
Aujourdโhui nous voyons les choses comme dans un mauvais miroir, et il faut les deviner. Mais un jour je verrai face ร face. Aujourdโhui je connais en partie, mais un jour je connaรฎtrai comme je suis connu.
1 Corinthiens 13, 12
Pour votre bibliothรจque :
- Dictionnaire des symboles, de Gheerbrant et Chevalier. Avec ses 1600 articles, cet ouvrage est une rรฉfรฉrence dans lโรฉtude des symboles.
Modif. le 26 mars 2021