Les sentences au 4รจme degrรฉ du REAA : quelles sont-elles ? que signifient-elles ? quelle portรฉe รฉthique et symbolique pour le Maรฎtre Secret ?
Une sentence est un prรฉcepte moral, une maxime chargรฉe d’expรฉrience et de sagesse.
Plutรดt rares dans les degrรฉs symboliques, les sentences apparaissent avec force au 4รจme degrรฉ, marquant une vรฉritable rupture dans le style de l’enseignement maรงonnique.
Le ton est ferme et les verbes utilisรฉs sont ร l’impรฉratif. Les sentences laissent peu de place ร la discussion : elles doivent รชtre acceptรฉes telles quelles par le franc-maรงon qui est dรฉsormais assez avancรฉ pour entendre et accepter la vรฉritรฉ.
Et de fait, nous allons voir que ces sentences, loin d’รชtre dogmatiques, expriment des principes de sagesse profonds et universels.
Voici les sentences telles qu’elles apparaissent dans le rituel dโinitiation au 4รจme degrรฉ du REAA :
- 1er voyage :
- Vous ne vous forgerez point dโidoles humaines pour agir aveuglรฉment sous leur impulsion, mais vous dรฉciderez par vous-mรชmes de vos opinions et de vos actions.
- Vous ne prendrez pas les mots pour des idรฉes et vous vous efforcerez toujours de dรฉcouvrir lโidรฉe sous le symbole.
- Vous nโaccepterez aucune idรฉe que vous ne compreniez et ne jugiez vraie.
- 2nd voyage :
- Ne vous payez pas de mots, nโaccordez ร qui que ce soit une confiance aveugle, mais รฉcoutez tous les hommes avec attention et dรฉfรฉrence.
- Ayez la ferme rรฉsolution de les comprendre.
- Respectez toutes les opinions, mais ne les acceptez pour justes que si elles vous apparaissent comme telles aprรจs les avoir examinรฉes.
- Ne profanez pas le mot de Vรฉritรฉ en lโaccordant aux conceptions humaines. La Vรฉritรฉ absolue est inaccessible ร lโesprit humain ; il sโen approche sans cesse, mais ne lโatteint jamais.
- 3รจme voyage :
- Quelque admiration que vous inspire le spectacle de lโUnivers, du macrocosme au microcosme, souvenez-vous que vous ne lโadmirez quโen proportion de votre faiblesse en prรฉsence de son immensitรฉ.
- 4รจme voyage :
- Ce que la Franc-Maรงonnerie vous demande, cโest dโaimer la Justice, de la rรฉvรฉrer, de marcher dans ses voies, de la servir de tout votre cลur et de toute votre รขme.
Tentons d’analyser les sentences du 4รจme degrรฉ.
Voir aussi notre liste de planches au 4รจme degrรฉ.
Les sentences au 4รจme degrรฉ.
Ces sentences concernent principalement le rapport aux autres : elles ont une dimension morale et รฉthique essentielle. Mais quelques-unes ont un sens plus large, voire “cosmique”.
Tentons de les interprรฉter.
Les sentences du 1er voyage initiatique.
“Ne pas se forcer d’idoles humaines”, “ne pas prendre les mots pour des idรฉes” : ces sentences mettent en garde contre le danger du fanatisme, lui-mรชme fondรฉ sur l’ignorance.
L’idolรขtrie consiste ร rendre un culte (vรฉnรฉration, sacrifices, offrandes, priรจres…) ร une chose ou une personne sacralisรฉe, faussement prise pour la divinitรฉ elle-mรชme. Ce peut รชtre un culte rendu ร un symbole, ร un gourou, ou ร une reprรฉsentation divine.
Proche de la superstition, l’idolรขtrie est attachement, illusion et soumission. L’individu reste figรฉ dans ses croyances : il ne rรฉflรฉchit plus, ne cherche plus ร se connaรฎtre, ne s’ouvre plus aux autres, ne progresse plus. Pensant dรฉtenir la vรฉritรฉ, il s’en รฉloigne constamment.
Cela fait รฉcho ร la derniรจre sentence du second voyage : “Ne profanez pas le mot de Vรฉritรฉ en lโaccordant aux conceptions humaines. La Vรฉritรฉ absolue est inaccessible ร lโesprit humain…”
Le sage est donc celui qui sait qu’il n’atteindra jamais la vรฉritรฉ (“Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien“) : paradoxalement, cette posture lui ouvre le chemin de la vรฉritรฉ, puisqu’aucune croyance ne fait plus obstacle ร la lumiรจre. La dรฉmarche n’est plus figรฉe mais ouverte, libre et dรฉsintรฉressรฉe.
De mรชme, “prendre les mots pour des idรฉes” consiste ร s’attacher aux concepts plutรดt qu’ร l’esprit qui les sous-tend. Par exemple, celui qui rend un culte au mot “fraternitรฉ” s’empรชche de se poser les bonnes questions, ร savoir : comment vivre la fraternitรฉ ? pourquoi doit-on cultiver la fraternitรฉ ? qu’est-ce qui fonde la fraternitรฉ ?
Au final, le franc-maรงon est un cherchant : il sait que la vรฉritรฉ rรฉside plus dans la question que dans la rรฉponse. Il doit prendre le contrรดle de sa vie pour aller toujours plus loin dans la quรชte de la vรฉritรฉ : tel est son Devoir. C’est bien le sens de la derniรจre sentence de ce voyage : “Vous nโaccepterez aucune idรฉe que vous ne compreniez et ne jugiez vraie.”
Les sentences du 2รจme voyage.
“Ne vous payez pas de mots” (lire notre article dรฉdiรฉ) est une mise en garde adressรฉe ร ceux qui ont tendance ร s’รฉcouter parler, ร se satisfaire de leurs propres paroles.
Ceux-lร pensent dรฉtenir la vรฉritรฉ, et croient avoir le droit de lโexprimer plus fort que les autres. Il s’agit d’un auto-illusionnement qui รฉvoque la prรฉsence des trois mauvais compagnons en nous.
Cette sentence incite ร la mesure, ร l’ouverture et ร l’รฉcoute.
Se satisfaire de ses propres pensรฉes serait croire qu’il est inutile de continuer ร rรฉflรฉchir. Cela aboutirait ร un blocage, ร un isolement, ร un arrรชt dans le chemin de lโรฉlรฉvation personnelle.
“Nโaccordez ร qui que ce soit une confiance aveugle” est lร -encore une mise en garde contre le risque de dรฉrive fanatique (voir les sentences du 1er voyage).
“Ecouter tous les hommes avec attention et dรฉfรฉrence”, “avoir la ferme rรฉsolution de les comprendre”, “respecter toutes les opinions” sont les trois sentences les plus concrรจtes et sans doute les plus fortes du 4รจme degrรฉ. Voilร donc le comportement juste, qui consiste ร รฉcouter, respecter et ร chercher ร comprendre. Cette attitude d’ouverture bienveillante libรจre l’autre en mรชme temps que soi-mรชme : c’est un enrichissement mutuel qui fonde la vรฉritable fraternitรฉ.
La sentence du 3รจme voyage.
“Quelque admiration que vous inspire le spectacle de lโUnivers, du macrocosme au microcosme, souvenez-vous que vous ne lโadmirez quโen proportion de votre faiblesse en prรฉsence de son immensitรฉ.”
La sentence du 3รจme voyage est un appel ร l’humilitรฉ : nous ne sommes rien face ร l’immensitรฉ du cosmos.
Pourtant, cette phrase comporte un paradoxe, puisqu’elle sous-entend que chacun de nous (chaque microcosme) est fait ร l’image de l’univers tout entier (le macrocosme) : nous sommes donc porteurs de la chose universelle, absolue, infinie.
S’il y a faiblesse, elle ne peut rรฉsider que dans notre maniรจre de voir les choses : nos illusions, nos ambitions, nos attachements, notre รฉgoรฏsme, notre sentiment de supรฉrioritรฉ (ou d’infรฉrioritรฉ) sont de bien petites choses face ร la Grande loi universelle.
La sentence du 4รจme voyage.
La derniรจre sentence est un appel ferme ร “aimer la Justice, ร la servir de tout notre cลur et de toute notre รขme.” Comment l’interprรฉter ?
Cette sentence invite au don de soi, qui peut (et doit aller) jusqu’au sacrifice.
Ici, la Justice comporte une dimension divine, mรฉtaphysique. Il s’agit de reprendre sa vraie place dans le cosmos, ร รฉgalitรฉ avec les autres, en harmonie avec eux. Nous ne nous voyons plus comme des รชtres sรฉparรฉs ou supรฉrieurs, mais comme faisant partie du Tout : nous sommes une pierre taillรฉe parmi les pierres taillรฉes.
La Justice est l’expression de cet รฉquilibre mental retrouvรฉ : nous sommes enfin libรฉrรฉs de nos blocages et de nos illusions.
Les sentences du 4รจme degrรฉ et le Devoir du Maรฎtre Secret.
Au final, ces sentences constituent le Devoir du Maรฎtre Secret.
Notre Devoir consiste ร pratiquer la Justice, ร fuir le vice (l’ignorance, le fanatisme et l’ambition) et cultiver la vertu.
Au troisiรจme degrรฉ, nous avons accompli un pas dรฉcisif en prenant conscience de la prรฉsence des trois mauvais compagnons en nous. A prรฉsent, nous pouvons nous relever pour les affronter.
Pour aller plus loin :
- Le mythe dโHiram, fondateur de la maรฎtrise maรงonnique, de Jean Delaporte. Un excellent ouvrage sur la lรฉgende dโHiram et sa profondeur symbolique.
Modif. le 21 fรฉvrier 2021