Le symbolisme kabbalistique des lettres et des nombres : en quoi consiste-t-il ? Qu’est-ce que la numérologie kabbalistique ou gématrie ? Quelle utilité dans la quête spirituelle ?
La Kabbale propose une méthode d’interprétation de la Torah (herméneutique) fondée sur le symbolisme des lettres et des nombres.
Les lettres hébraïques ont une importance particulière en ce que chacune d’entre elles exprime un aspect de la Création. Les 22 lettres sont le support de la parole divine, comme autant de rayons de Lumière qui éclairent le monde. Chaque lettre aide à l’ouverture de la conscience et peut être comprise par le chemin du cœur.
Voici un résumé du symbolisme des lettres hébraïques :
- Aleph : le souffle créateur, le bœuf (valeur numérique associée : 1)
- Beth : la terre, la maison (2)
- Guimel : le chameau (3)
- Daleth : la porte (4)
- Hé : la fenêtre (5)
- Vav : le crochet (6)
- Zayin : l’épée (7)
- Heth : la barrière (8)
- Thet : le serpent (9)
- Yod : la main (10)
- Kaph : la paume de la main (20)
- Lamed : l’aiguillon (30)
- Mem : les eaux (40)
- Noun : le poisson (50)
- Samekh : la colonne (60)
- Ayin : l’œil (70)
- Pé : le Verbe (80)
- Tsadé : l’hameçon (90)
- Qof : la hache (100)
- Resh : la tête (200)
- Shin : la dent (300)
- Tav : le signe, le sceau (400)
Selon le Sefer Yetzirah (« Livre de la Création »), les 22 lettres de l’alphabet hébreu sont les outils utilisés par Dieu pour créer l’univers. Chaque lettre porte une énergie et une signification spirituelle uniques.
Il faut aussi souligner le lien entre les lettres hébraïques et les Sephiroth de l’Arbre de vie kabbalistique : en l’occurrence, les lettres sont les canaux par lesquels la Lumière des Sephiroth se manifeste dans le monde physique.
Le Livre de la Création parle de 32 sentiers de la sagesse, à savoir les 10 Sephiroth complétées des 22 lettres hébraïques. Ces 32 sentiers forment une carte de la Création et sont utilisés dans certaines représentations de l’Arbre de Vie.
Par ailleurs, dans la Kabbale lourianique, des correspondances spécifiques sont établies entre les lettres et les noms divins associés aux Sephiroth, ou entre les lettres et les différentes voies reliant les Sephiroth sur l’Arbre de vie.
Par exemple, les lettres du nom divin YHVH (יהוה) peuvent être associées aux Sephiroth comme suit :
- Yod (י) : Chochmah (Sagesse),
- Hé (ה) : Binah (Compréhension, Intelligence),
- Vav (ו) : Les six Sephiroth centrales (le cœur),
- Hé final (ה) : Malchut (Royauté, monde matériel).
Enfin, dans la numérologie kabbalistique, chaque lettre hébraïque est associée une valeur numérique, ce qui permet l’interprétation secrète des écrits de la Torah. Plusieurs méthodes existent pour cela, la plus célèbre d’entre elles étant la Guematria (gématrie).
Entrons dans le système symbolique de la Kabbale.
La gématrie, science des lettres et des chiffres
Le mot Guematria possède la même racine grecque que le mot « géométrie » (geometria : « mesure de la terre »), ce qui évoque dans les deux cas un effort d’abstraction pour représenter et comprendre le monde.
La gématrie est en quelque sorte une mathématique des lettres, une géométrie des mots, le but étant de pénétrer le code divin et d’accéder au sens profond des Ecritures.
Le principe de la gématrie
Présentons d’abord le symbolisme des nombres dans une perspective gématrique :
- Un représente l’unité divine,
- Deux : les Tables de la Loi, la dualité,
- Trois : la fécondité,
- Quatre : la matrice, la matière, la fertilité,
- Cinq : les cinq livres de la Torah, la vérité, la gnose,
- Six : la réalité, l’harmonie,
- Sept : les sept jours de la Genèse, le sacré, la perfection, la Lumière,
- Huit : l’Alliance, l’amour,
- Neuf : l’accomplissement,
- Dix : les dix Commandements, le pont entre l’humain et le divin.
Et aussi :
- Onze : le ciel, le cosmos, la Nature,
- Douze : les douze tribus d’Israël, l’humanité, le peuple élu,
- Treize : les attributs divins, la théologie, la philosophie.
Certains courants de la gématrie établissent un lien entre les 10 chiffres de la suite numérique et les 10 Sephiroth de l’Arbre de vie, comme suit :
Chiffre | Sephira | Signification symbolique |
1 | Keter (la Couronne) | L’Unité divine, la volonté pure, l’origine |
2 | Chochmah (Sagesse) | Le germe de l’idée, l’élan créatif |
3 | Binah (Compréhension) | L’intellect qui structure, la matrice |
4 | Hesed (Amour, Grâce) | L’expansion, la générosité |
5 | Guevurah (Rigueur, Jugement) | La limitation, la force de restriction |
6 | Tipheret (Beauté) | L’harmonie, l’équilibre entre force et amour |
7 | Netzah (Victoire) | L’énergie active, la persistance |
8 | Hod (Gloire, Splendeur) | L’intellect passif, la réceptivité |
9 | Yesod (Fondation) | Le canal, le lien entre le spirituel et le matériel |
10 | Malchut (Royaume) | La manifestation physique, le monde concret |
Surtout, comme vu plus haut, la gématrie attribue une valeur numérique à chaque lettre, ce qui permet de calculer la valeur numérologique de chaque mot. Une fois cette valeur obtenue, il est possible de l’interpréter de différentes manières :
- en se reportant à la symbolique du nombre obtenu,
- en se reportant à la symbolique de la réduction théosophique (somme des chiffres compostant le nombre) du nombre obtenu,
- en associant les mots possédant la même valeur numérologique,
- ou encore en associant les phrases possédant la même valeur numérologique.
On le voit, la gématrie repose sur le principe d’association ou d’analogie : il s’agit d’établir des ponts entre des concepts qui semblent différents, ce qui doit permettre d’approcher la structure du monde à la fois dans sa diversité et son unité.
Exemples d’interprétation gématrique
Bereshit (« Au commencement »)
Le premier mot de la Bible, Bereshit, a pour valeur 913. La réduction théosophique de 913 (9 + 3 + 1 = 13 ; et 1 + 3 = 4) est 4, ce qui évoque la matière, ou le Principe en voie de matérialisation.
Le tétragramme divin
En hébreu, le nom divin s’écrit YHVH (יהוה) : c’est le tétragramme divin.
En gématrie :
- י (Yod) = 10
- ה (Hé) = 5
- ו (Vav) = 6
- ה (Hé) = 5
- Total : 10 + 5 + 6 + 5 = 26
- La réduction théosophique de 26 est 2 + 6 = 8
Or le chiffre 8 renvoie à l’Alliance et à l’Amour.
26 est encore 2 × 13, or 13 est la valeur numérique du mot אהבה (ahava, qui signifie « amour ») ainsi que du mot אחד (echad, « unité »).
Ce lien entre Unité, Amour et Divin peut être représenté géométriquement par un triangle : voilà un exemple de la proximité entre gématrie et géométrie.
Le symbolisme kabbalistique : une superstition ?
On pourrait voir dans la numérologie hébraïque une forme de superstition. En effet, l’analogie par les valeurs numériques des mots n’implique pas nécessairement un lien de sens. A ce titre, on pourrait qualifier la gématrie de pseudo-science puisqu’elle échappe à toute rationalité. La gématrie peut conduire à des interprétations fausses ou orientées. Le risque est clairement celui de l’auto-illusion…
Pourtant, le symbolisme kabbalistique est intéressant en ce qu’il permet de générer des associations d’idées, au service du développement de l’intuition. En l’occurrence, cela permet de sortir de la littéralité du texte, d’élargir le champ de la pensée, d’ouvrir de nouvelles dimensions, de nouveaux sens qui enrichissent la quête spirituelle.
Le symbolisme kabbalistique des lettres et des nombres : le miroir de l’âme
Le symbolisme kabbalistique place le cherchant face à lui-même. Il agit comme un miroir de l’âme, comme un révélateur de conscience.
En effet, les lettres et les nombres peuvent être abordés comme des représentations des énergies cosmiques, comme des émanations de Dieu (cf. les Sephiroth de l’Arbre de vie), mais aussi comme des instances de la psyché ou des symboles pouvant révéler des phénomènes inconscients.
Ainsi, l’établissement de liens entre les lettres, entre les nombres, entre les lettres et les nombres ou encore entre les mots peut élargir le chemin qui mène à la Vérité.
Se confronter à une lettre, identifier une association ou une analogie, c’est se donner une chance de comprendre, de progresser, de s’élever. Ceci peut donner lieu à des prises de conscience, à des révélations intimes, et donc à des changements d’état. Les lettres et les chiffres parlent et ont beaucoup à dire. Le travail consiste donc à rassembler les fragments jusqu’à retrouver l’unité cosmique autant que l’unité en soi.
Enfin, en tant que voie ésotérique, la Kabbale ne propose aucune réponse définitive. Seule la méthode compte, une interprétation symbolique n’étant valable que si elle a du sens pour celui qui la développe…
Modif. le 19 mai 2025