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Franc-maçonnerie et musique : histoire et symbolisme de la « colonne d’harmonie »

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Franc-maçonnerie et musique : symbolisme de la colonne d’harmonie. Quel rapport entre franc-maçonnerie et musique ? Quel est le rôle du Maître de Musique en loge ? Voici une planche maçonnique sur la musique.

Dans les loges maçonniques, le Frère (ou la Sœur) Maître de musique prépare et adapte la « colonne d’harmonie » en fonction des tenues et des cérémonies, diffusant divers morceaux lors des pauses, intermèdes et moments importants.

La plupart des franc-maçons s’accordent à reconnaître le rôle central de la musique lors des tenues. Un rôle qui s’est imposé au fil du temps.

Voici la grande histoire de la musique en franc-maçonnerie.

Franc-maçonnerie et musique : des liens historiques

Bien que non obligatoire, la musique a toujours existé en loge depuis la fondation de la Franc-Maçonnerie spéculative moderne, au début du XVIIIème siècle. A cette époque, pas de musique enregistrée, mais une musique vivante, pratiquée par un ou plusieurs musiciens ou chanteurs. La pratique chorale était par ailleurs très développée dans la société, et les intellectuels étaient presque tous mélomanes.

L’émergence des premiers cercles maçonniques a participé à la transformation du statut du musicien ou chanteur, lequel a trouvé, outre un sponsoring non négligeable, non seulement un lieu d’exercice d’activité, mais aussi et surtout une certaine honorabilité.

Preuve qu’il existait des chansons purement maçonniques, un premier recueil fut publié en appendice du Livre des constitutions d’Anderson de 1723.

En France, dès 1737, un important catalogue de chansons maçonniques parait également, afférentes aux diverses tenues, aux divers officiers et aux divers degrés. Mais ces chansons avaient plus de place aux agapes qu’en loge car destinées à être chantées par tous les frères (convivialité et fraternité, peut-être plus que qualité…). Ce n’est qu’après 1848 que le terme « Colonne d’Harmonie » apparait comme désignant un groupe de F. musiciens formant un ensemble instrumental et vocal, différent des chansons a capella des agapes, pour accompagner et compléter le rituel.

Composée d’instruments à vent, cette formation s’enrichira plus tard d’un piano qui parfois la remplacera. À chaque instrument – clarinette, hautbois, cor de basset, basson, violoncelle, etc – son rôle précis lors des différentes cérémonies.

La notion de colonne prend tout son sens, la musique devenant un élément essentiel du Temple, la notion d’harmonie correspondant quant à elle à un idéal et une valeur maçonnique.

Les musiciens compositeurs en loge sont alors appelés « frères à talents », ils ne paient généralement pas leur cotisation à l’ordre, mais en contrepartie doivent non seulement participer et composer pour la colonne d’Harmonie, mais aussi assurer la renommée de la Loge en répondant à des commandes extérieures pour des compositions non nécessairement maçonniques.

Ce fut le cas, par exemple, pour les 6 symphonies parisiennes de Haydn qui lui ont été commandées par le comte d’Ogny, l’un des co-fondateurs en 1782 du Concert de la Loge Olympique, société de concerts issue de la Loge du même nom, qui se produisait aux Tuileries.

La deuxième moitié du siècle des Lumières voit la création de plusieurs sociétés de concerts en lien étroit avec les loges, dans lesquelles les membres de l’orchestre, parfois plus d’une cinquantaine, étaient obligatoirement maçons et se produisaient très régulièrement : le début du professionnalisme…

Aujourd’hui, lorsqu’on évoque franc-maçonnerie et musique, on doit obligatoirement évoquer le rôle du Maître de musique en loge.

Le principe de la Colonne d’Harmonie s’est installé, avec une présence physique jusqu’au moment où sont apparus des moyens de reproduction du son, générant par voie de conséquence plus de possibilités dans la diversité du répertoire. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui le Maître de Musique constitue pratiquement à lui tout seul la Colonne d’Harmonie et continue à bénéficier d’un plateau.

Le rôle du Maître de musique en loge

Ce n’est pas innocent si le bijou accroché au sautoir du M. de Musique est une lyre en référence à la légende d’Orphée, une des plus singulières légende de la mythologie grecque. Orphée savait, notamment, par les sons de sa lyre, charmer les bêtes sauvages et même émouvoir les êtres inanimés.

Le Maître de Musique participe, par le choix de ses musiques, et en relation avec le rituel, à la création d’émotion, de communion, de transcendance, et donc à un égrégore positif au bénéfice de tous. Son rôle consiste aussi à marquer les esprits, par exemple lors des cérémonies d’initiation.

Point important, le Maître de Musique n’est pas là pour remplir musicalement des vides, mais au contraire pour trouver une alchimie entre silence et musique. Il a, à chaque tenue, une planche à part entière à réaliser, non seulement en fonction de l’ordre du jour, mais aussi, et c’est une difficulté supplémentaire, en fonction du déroulement même des travaux.

Peu importe que la musique diffusée soit maçonnique ou non, classique ou de variété, instrumentale ou vocale, dans la mesure où elle s’intègre au rituel, lui aussi imprégné de sons organisés et de rythmes : alternance de la parole, coups de maillet, batterie, déambulation, allumage et extinction des feux par exemple, car comme l’écrit Philippe Autexier dans son livre La Colonne d’Harmonie : Histoire, Théorie et pratique :

La musique est elle-même une maçonnerie, les éléments qui la composent ne sont pas des sons (des pierres brutes), mais des notes (des pierres taillées) mesurées dans leur hauteur (ce que l’on appelle la note proprement dite), dans leur longueur – ou leur durée – et dans leur densité (l’intensité de la note).

Voici les trois paramètres qui régissent la taille de la pierre régissent aussi celle du son :

  • la Force réside dans la densité (l’intensité du son – Forte ou piano par exemple),
  • la Sagesse dans la longueur (la durée de la note),
  • la Beauté dans la hauteur (la note elle-même).

Franc-maçonnerie et musique : symbolisme

En Loge, toute musique devient outil, elle est à la fois perpendiculaire (introspection ainsi qu’élévation), équerre (pensée raisonnable), compas (degré d’ouverture de l’esprit et du cœur), pavé mosaïque (recherche de l’accord parfait par l’harmonisation des notes noires et blanches) et enfin chaine d’union (les liens dans le temps et l’espace).

Seule la musique peut suggérer l’inexprimable, rendre intelligible le symbolisme, enrichir la perception du sacré. Elle est la représentation de ce qui est transfiguration ou transcendance. Elle signifie la mesure ou la tempérance qui régissent le comportement de l’initié. Elle exalte les valeurs fondamentales de la fraternité.
Pierre-François Pinaud, Les musiciens francs-maçons du temps de Louis XVI

Musiciens et franc-maçons célèbres

Presque tous les grands compositeurs du XVIIIème et du XIXème siècle étaient francs-maçons : Luigi Cherubini, Joseph Haydn, Franz Liszt, Nicolas Mehul, Giacomo Meyerbeer, Wolfgang Amadeus Mozart, son père Léopold et son fils Franz, etc.

Certains n’étaient pas franc-maçons mais ont toutefois été influencés par les idées maçonniques parce qu’en relation étroite avec des maçons et partageant leurs idéaux : Jean-Philippe Rameau, Christoph Gluck, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert ou Richard Wagner.

Deux autres grands compositeurs ayant vécu fin XIXème – début XXème, Giacomo Puccini et Jean Sibelius, étaient aussi francs-maçons.

Parmi ces musiciens, tous n’ont pas inclus de références maçonniques précises dans leurs œuvres, généralement qualifiées de musique religieuse ou sacrée (messes, requiem ou cantates), d’autres l’ont fait avec discrétion, c’est notamment le cas pour Haydn dans La Création, Schubert dans le Voyage d’Hiver, Liszt dans la Fantasia quasi Sonata, ou Beethoven dans certains quatuors ainsi que sa célèbre Ode à la joie concluant sa neuvième symphonie, composée à partir d’un poème pour des agapes en loge, poème dans lequel il est notamment mentionné « tous les hommes deviendront frères ».

D’autres ont écrit spécifiquement pour les cérémonies en loge, tout en publiant d’autres oeuvres pour un public non averti. C’est le cas notamment de Sibelius et surtout Mozart.

Sibelius a composé ses Musiques rituelles de l’op. 113, en 1926-27, offertes en 1948 à sa Loge Suomi n°1 où il avait été initié le 18 août 1922, le jour même où elle était installée par des maçons américains, et où la Franc-maçonnerie reprenait vie, après 100 ans d’interdiction, dans la Finlande nouvellement indépendante.

Franc-maçonnerie et musique : le cas de Mozart

Lorsqu’on évoque franc-maçonnerie et musique, on pense immédiatement à Mozart.

En effet, de tous les musiciens, c’est Mozart qui se distingue nettement : sa musique n’a jamais été égalée tant elle exprime toutes les valeurs maçonniques ; elle illustre de façon poétique et subtile toutes les thématiques qui tiraillent le cœur de l’apprenti devenu Frère : la mort, le travail sur la pierre brute, l’exploration du moi profond, la vérité de l’être, sa place et son action dans le monde et dans la société.

Cela se retrouve tant dans ses très nombreuses œuvres pour cérémonies et tenues que dans ses opéras, et surtout dans trois œuvres que l’on peut considérer comme son testament philosophique, les deux opéras La Clémence de Titus et La flûte enchantée, et le Requiem – inachevé – toutes composées dans les trois derniers mois de sa vie.

La Flûte enchantée

C’est La Flûte enchantée qui est considérée comme l’opéra maçonnique par excellence. C’est plutôt un « Singspiel » c’est-à-dire une œuvre contenant une mosaïque de styles musicaux : opéra à l’italienne, opéra bouffe, tragédie, chant religieux, chœurs sacrés, voix parlée, airs édifiants, chants traditionnels et farces, qui était destinée à être jouée dans un théâtre, et devait donc avant tout divertir. Il pourrait en être disserté très longuement tant les symboles y sont nombreux.

Parmi ces symboles, dès les premières notes, un enchaînement ascendant de trois accords, entrecoupés de courts silences, eux-mêmes répétés trois fois chacun lorsqu’ils sont repris plus loin (à peu près à mi-parcours de cette ouverture et puis au début du deuxième acte notamment), on frappe à la porte du temple (qui va apparaître au lever de rideau), et la cérémonie d’initiation va commencer…

Le GADLU n’est pas évoqué, mais sont invoqués la déesse Isis (mère universelle et symbole de vie) et le dieu Osiris (dieu de la mort et de la renaissance spirituelle). Le maître du temple et des connaissances est Sarastro, il est le Soleil, et est accompagné d’un orateur. La reine de la nuit, symbole des faiblesses humaines représente la dualité du mal (dans le 1er acte) et du bien (dans le 2ème acte), elle est la Lune.

Tamino, le futur initié est le Feu, Tamina, l’Eau. Papageno est l’Air et Monostatos la Terre. Les deux hommes en armure sont les deux Surveillants, en outre il y a 3 dames, 3 garçons, 3 prêtres et 3 esclaves.

Il y a un serpent (nos peurs) devant lequel Tamino va s’évanouir (mort symbolique) et il y a la flûte d’or qui permet à Tamino de triompher des épreuves du Feu et de l’Eau. Il y a l’épreuve du silence qui lui est imposée. Aussi les dernières paroles de Sarastro seront les suivantes : « Les rayons du Soleil ont refoulé la Nuit, la puissance du Mal est anéantie » et le Chœur entonnera : « Gloire à vous, initiés ! Vainqueurs de la Nuit ! Merci à toi, Osiris, Merci à toi, Isis, La Force a triomphé et récompense la Beauté et la Sagesse d’une couronne éternelle ».

L’exemple des « loges noires »

L’histoire des relations entre la franc-maçonnerie et la musique ne se limite pas à l’Europe des Lumières. Aux Etats-Unis, la Franc-Maconnerie spéculative s’est imposée aux alentours des années 1740. Si elle partageait bien entendu les idéaux maçonniques, elle avait une particularité compte-tenu de son histoire. En effet l’esclavagisme était de règle puisque seulement aboli en1865, soit cent ans plus tard. De ce fait les francs-maçons, pour beaucoup d’entre eux esclavagistes et de race blanche, n’acceptaient dans leur loge que très rarement les noirs.

C’est sous la houlette d’un certain Prince Hall, militant des droits civiques et abolitionniste, initié avec quatorze autres afro-américains comme lui dans une loge militaire britannique à Boston le 6 mars 1775, que se constitue l’année suivante une nouvelle loge dénommée African Lodge, qui n’a finalement été reconnue officiellement, compte tenu du contexte, que onze ans plus tard.

De nombreuses loges « noires » se sont rapidement créées officieusement dans tout le pays. Et c’est en 1791 que les francs-maçons noirs américains se réunirent à Boston et constituèrent « l’African Grand Lodge of North America » renommée « Prince Hall Grand Lodge » en 1807, en l’honneur de celui qui fut son Grand Maître jusqu’à sa mort.

De nombreux jazzmen noirs très connus firent partie au début du XXème de loges qui y étaient affiliées : Paul ROBESON, Duke ELLINGTON, Count BASIE, Lionel HAMPTON, Nat King COLE, Cab CALLOWAY, Kenny CLARKE, Oscar PETERSON et peut-être Louis AMSTRONG comme aussi quelques jazzmen blancs tels Al JOLSON, Paul WITHEMAN ou Glen MILLER.

Généralement, tous les membres de leurs orchestres étaient aussi francs-macons. Dans leurs oeuvres l’idéal maçonnique est plus suggéré que réel, et souvent le titre est suggestif. Ils n’hésitent pas à porter sur eux des signes extérieurs de maçonnerie, comme bagues, chevalières ou colliers marqués de l’équerre et du compas comme en témoignent diverses photos figurant sur des revues de jazz de l’époque, qui peuvent être consultées au sein de la Collection Panassié, à la Médiathèque de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron).

Cette maçonnerie « noire » a fortement participé à l’émancipation des jeunes afro-américains et à l’évolution de la franc-maconnerie aux Etats-Unis, notamment au niveau de la mixité de races dans les loges. L’implication et l’engagement de ces jazzmen en maçonnerie n’était pas que façade, pour preuve Lionel Hampton accéda au plus haut grade du REAA et Duke Ellington au grade juste en-dessous.

On n’écoutera plus tout à fait de la même façon la magnifique chanson de ce dernier I’m beginning to see the Light lorsqu’on saura que ce n’est pas une chanson d’amour mais… ses propres impressions d’initiation.

Quand on compose de la musique, on est à l’intérieur de soi. Et quand on l’écoute, on est aussi à l’intérieur de soi.

La musique seule est un langage universel et n’a point besoin d’être traduite. Par elle, l’âme parle à l’âme.
Berthod Averbach

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Modif. le 5 septembre 2023

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