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Le conflit en philosophie, psychologie et spiritualité

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Le conflit en philosophie, psychologie et spiritualité : d’où vient-il ? Comment aborder le conflit ? Comment le dénouer ?

Au sens large, le conflit est la rencontre d’éléments antagonistes : c’est un choc entre forces physiques opposées. Par exemple, un conflit de masses d’air peut provoquer une tempête ou un cyclone.

Chez les animaux, le conflit prend la forme d’une lutte, principalement pour l’accès aux ressources naturelles (territoire, nourriture…).

Dans nos sociétés humaines, le conflit commence par un désaccord (pratique, politique, moral, idéologique…), lequel fait l’objet d’une régulation sociale (débat, lois, justice, diplomatie, élections, sport) ; à défaut, il peut donner lieu à un engrenage menant au combat voire à la guerre.

Le conflit existe aussi au sein de chacun d’entre nous. Ce conflit intérieur est dû à la confrontation de nos instances psychiques : le ça (instincts, pulsions, envies) s’oppose en permanence au surmoi (éducation, règles, normes sociales intériorisées), le moi tentant de trouver un compromis entre les deux. Les regrets, la honte, le sentiment de culpabilité et la perte de confiance sont autant de signes de la présence d’un conflit intérieur.

Au quotidien, les situations de conflit sont nombreuses : dans la rue, dans le couple ou la famille, entre voisins, au travail… Or, tout conflit avec autrui génère automatiquement un conflit intérieur qui s’accompagne de stress, de doute et de souffrance.

Le conflit fait partie de la vie. Pourquoi ? D’où vient-il ? Comment l’aborder ? Y’a-t-il une éthique du conflit ?

Tentons d’aborder le conflit en philosophie, psychologie et spiritualité.

Lire aussi notre article : Pourquoi la guerre ? (philosophie)

Le conflit en philosophie et psychologie : analyse.

Le conflit est le constat que deux éléments distincts prennent des directions contraires, antagonistes, ce qui provoque un choc, une collision. Le conflit est alors synonyme d’incompatibilité, de trouble, de chaos, de désordre. Il s’oppose en cela à l’ordre, à l’harmonie et à la paix.

Quelle est l’origine du conflit ?

La conflit est dû à la dualité (ici au sens de pluralité, de diversité), autrement dit au fait que les choses sont séparées, donc susceptibles de s’entrechoquer. L’espace-temps fait naître la matière et l’énergie : nous sommes dans un monde où les éléments sont en mouvement, ce qui produit des secousses et des collisions.

Le conflit semble donc être une caractéristique fondamentale de notre monde physique, mais on pourrait développer une toute autre interprétation.

En réalité, rien ne dit que les choses soient vraiment distinctes et séparées. En effet, la matière peut être vue comme une globalité qui se transforme sans cesse. Les individus se nourrissent et nourrissent leur environnement, prennent et donnent, échangent, vivent et meurent. Tout est lié, tout se recompose continuellement en vase clos.

C’est notre ego qui nous présente les choses comme étant séparées. En réalité, tout est interdépendant : chaque chose ou individu n’existe que par son environnement.

Le conflit n’est donc qu’apparent : les énergies qui traversent le monde sont forcément cohérentes, puisque notre cosmos est unité. L’harmonie règne puisque toute chose fait partie du Tout : rien n’est extérieur au monde, tout concourt à l’expression de l’ordre universel.

Par conséquent, si nous percevons un conflit, c’est que nous nous voyons nous-mêmes comme extérieurs au monde, et que nous ne comprenons pas le caractère unitaire et ordonné de l’univers.

L’origine du conflit serait donc intérieure : le conflit naît de l’ignorance du caractère solidaire de toute chose. Fondée sur l’ego, cette ignorance s’accompagne inévitablement de peur, de colère et de haine.

Si l’Homme accorde un sens négatif au mot « conflit », c’est donc parce que, incapable de comprendre le sens des évènements, il se sent menacé dans son individualité : le conflit naît de ce qui est imprévisible et dangereux pour lui.

On pourrait au contraire accorder au mot « conflit » un sens neutre, voire positif : le conflit permet le progrès, l’évolution, la créativité, il offre de nouvelles opportunités, il est le moteur du destin. Par son pouvoir rééquilibrant, il fonde l’harmonie.

Le conflit : approche spirituelle.

Les grandes traditions philosophiques et spirituelles reconnaissent l’existence de deux énergies cosmiques fondamentales :

  • le philosophe et poète grec Empédocle distinguait l’Amitié et la Discorde (Philia et Neikos),
  • l’alchimie spirituelle distingue le Soleil (énergie unitaire) et la Lune (énergie duale),
  • le taoïsme fonde sa cosmologie sur les deux principes yin et yang.

Les stoïciens, quant à eux, développent le concept de sympatheia : le souffle divin fonde l’unité du monde par le maintien de la cohésion entre les parties qui le composent. Toutes les composantes de l’univers se trouvent à la fois séparées et unies : la différenciation est réunie dans l’unité.

Lire aussi notre article : L’amour et la haine, les deux énergies spirituelles fondamentales.

Il y aurait donc deux forces :

  • l’une différenciante, due à la matière et au mouvement : palpable, cette énergie appartient au domaine du physique,
  • l’autre assurant le lien, l’unité, la solidarité des parties composant le Tout : uniquement perceptible par l’intuition ou la raison, cette énergie est du domaine du spirituel.

Si la première énergie est conflit, la seconde est réconciliation, à l’image des deux parties du taijitu (symbole du yin et du yang). En réalité, ces deux énergies sont indissociables : elles constituent les deux faces d’une même pièce.

L’éthique du conflit.

Les sages et les philosophes ont tenté de définir une morale ou une « éthique » du conflit. Loin de nier ou de rejeter le conflit, ils appellent à l’aborder d’une certaine manière :

Même quand il lutte, l’homme honorable est toujours plein d’humanité.
Entretiens de Confucius 3, 7

Pour Confucius, l’homme honorable ne doit pas nourrir le conflit ; il doit faire preuve de compréhension, d’humanité, et ne doit pas participer au cycle de la violence.

Pour Lao Tseu, fondateur du taoïsme, la source du conflit est la peur :

Il n’y a pas de plus grande illusion que la peur,
pas de plus grande erreur que de se préparer à se défendre,
pas de plus grande infortune que de croire avoir un ennemi.

Tao Te King 46

D’autre part, Lao Tseu invite à considérer ses ennemis avec respect et compassion :

La paix est la plus haute valeur du sage.
Si la paix est brisée,
comment peut-il être satisfait ?
Ses ennemis ne sont pas des démons,

mais des êtres humains comme lui.
Il ne leur souhaite pas de mal personnellement
ni ne se réjouit dans la victoire. (…)
Il entre dans la bataille gravement,
avec tristesse et grande compassion,
comme s’il se rendait à des funérailles.

Tao Te King 31

D’autre part pour Lao Tseu, s’il y a lutte, elle doit se faire dans l’esprit du jeu, conformément au tao (Tao Te King 68). Le non-attachement est ici essentiel, car c’est la grande Loi cosmique du tao qui déterminera l’issue du conflit.

Ainsi, le sage sait qu’il n’est que l’instrument du tao, et non l’acteur de son propre rôle. C’est ainsi qu’il n’a aucune attente concernant l’issue du conflit.

Enfin, Lao Tseu invite à savoir céder :

Les généraux ont un adage :
(…) progresser sans avancer,

repousser sans utiliser d’arme.
Il n’est pas de plus grand malheur
que sous-estimer ton ennemi.
Sous-estimer ton ennemi
revient à penser qu’il est mauvais.
Tu détruis ainsi tes trois trésors
(simplicité, patience et miséricorde)
et deviens toi-même un ennemi.
Quand deux grandes forces s’opposent,
la victoire va
à celui qui a appris à céder.

Tao Te King 69

Ainsi, prendre l’initiative dans un conflit revient à penser qu’on peut influer sur le cours des choses : le risque est alors de se surestimer, c’est-à-dire de sous-estimer son ennemi, ce qui peut précipiter l’échec et augmenter la souffrance.

A l’inverse, demeurer en retrait permet de rester attentif au destin qui se révèle sous nos yeux : nous gagnerons si nous devons gagner. Dans tous les cas, le vainqueur est celui qui, ayant vaincu son désir de contrôle, accueille les évènements tels qu’ils se présentent. Une clairvoyance qui augmentera ses chances de victoire.

Enfin, différents penseurs et philosophes ont disserté sur l’art de la guerre, tels Sun Zi, auteur d’un célèbre traité de l’Antiquité chinoise. Pour Sun Zi, la connaissance de soi-même et de l’adversaire permet de savoir à l’avance qui va gagner la bataille.

Comment aborder le conflit ? Quel comportement adopter ?

Dans une situation de conflit, les animaux recourent à trois types de stratégies, que l’on retrouve aussi chez l’être humain :

  • lutter,
  • prendre la fuite,
  • ou faire le mort.

Il n’y a pas de stratégie idéale, mais on veillera dans tous les cas à ne pas nourrir le conflit afin d’éviter des souffrances inutiles.

Notons qu’il y a des situations où l’on ne peut faire autrement que de livrer bataille. Il faut alors l’accepter, mais sans attente et sans haine. Le respect et la compréhension de l’adversaire facilitera l’issue.

Au final, le meilleur comportement consistera :

  • à comprendre la source du conflit : il est important de remonter aux causes, à l’origine de la différence ou du malentendu,
  • à cerner les éléments qui nourrissent le conflit : éléments extérieurs, mais aussi fierté, orgueil, rancœur, vengeance, injustice, ignorance, haine… Ce qui est possible par la connaissance de soi-même et de l’autre,
  • à mesurer les forces en présence, afin de porter un regard lucide sur l’issue du conflit. Si les éléments objectifs montrent que l’issue sera défavorable, mieux vaut négocier, ou céder.

Il s’agira donc de dépassionner le conflit pour accélérer son règlement. L’adversaire doit être écouté, considéré, respecté, et parfois même aidé.

Conclusions sur la philosophie du conflit.

On oppose souvent le conflit à l’amour. Pourtant, l’amour ne consiste ni à s’effacer, ni à abdiquer.

Aimer consiste parfois à poser les limites et accepter le combat, un combat qui devra toutefois se mener sans haine.

Le sage sait porter un regard bienveillant sur son adversaire. Ce faisant, il participe à la désescalade et remporte les honneurs. Montrant l’exemple, tendant la main, il sera toujours victorieux, même dans l’échec.

Enfin, le sage sait que l’issue du conflit est écrite d’avance, même si les protagonistes ne la connaissent pas. Le sage maîtrise sa peur et s’en remet au destin : il accepte de jouer le jeu, sans rien attendre pour lui-même. Il sait que la véritable bataille se déroule dans son propre esprit : un combat à mener contre sa haine et ses passions.

Lire aussi notre article sur le Djidah et sa véritable définition.

Quelques citations sur le conflit en philosophie.

L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat.
Sun Zi, L’Art de la guerre

Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux.
Sun Zi, L’Art de la guerre

Le guerrier victorieux remporte la bataille, puis part en guerre. Le guerrier vaincu part en guerre, puis cherche à remporter la bataille.
Sun Zi, L’Art de la guerre

Le grand art, c’est de changer pendant la bataille. Malheur au général qui arrive au combat avec un système.
Napoléon Bonaparte

On peut conquérir des milliers d’hommes dans une bataille ; mais celui qui se conquiert lui-même, lui seul est le plus noble des conquérants.
Dalaï Lama

Plus que sur les champs de bataille, la guerre se livre comme jamais autour de symboles.
Russell Banks

Quand ta guerre intérieure prend fin, c’est la fin de toutes les guerres.
Byron Katie

Lire aussi notre article : Comment changer le monde ?

Modif. le 13 mars 2022

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