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L’interdépendance dans le bouddhisme, le taoïsme et le stoïcisme

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L’interdépendance : définition. En quoi l’interdépendance est-elle un concept-clé du bouddhisme, du taoïsme et du stoïcisme ?

Beaucoup de religions et de philosophies voient le monde comme une mosaïque de phénomènes et d’événements interdépendants. La vie et le cosmos seraient un vaste système de dépendances réciproques. Voir les choses comme séparées et autonomes serait donc une illusion.

Sur le plan individuel, l’illusion de l’autonomie porte un nom : l’ego. Chaque être est en effet dépendant des autres et de la Nature, et est très largement déterminé par les influences de son environnement.

La notion d’interdépendance dépasse celle de causalité ou de conditionnalité. En effet, la causalité évoque un enchaînement linéaire de causes et de conséquences, alors que l’interdépendance est transformation permanente des choses dans un sens plus global, circulaire, interconnecté, réciproque ou « symétrique » (lire aussi notre article sur La loi de causalité).

Au final, l’interdépendance pourrait être définie comme la dépendance réciproque des choses composant le Tout.

L’interdépendance pose la question de l’essence des choses et des êtres. Car si tout procède de tout, si tout est interconnecté, rien de peut réellement exister « en soi ».

Voyons la définition de l’interdépendance dans les différentes traditions.

L’interdépendance dans le bouddhisme : définition.

L’interdépendance est au coeur du bouddhisme ; elle est liée à l’impermanence et au non-soi.

Dans le bouddhisme, tous les phénomènes sont composés et interdépendants : les objets, les individus, mais aussi les sensations, les perceptions, la pensée et la conscience.

L’ignorant voit l’agrégation de certains phénomènes physiques et mentaux (concepts) comme formant des objets et des individualités autonomes, et comme constituant son individualité propre. L’attachement à ces agrégats, en particulier l’ego, cause la souffrance.

La définition de l’interdépendance peut être abordée comme suit :

Si vous êtes poète, vous verrez clairement un nuage flotter dans la feuille de papier. Sans nuage, il n’y aurait pas de pluie ; sans pluie, les arbres ne pousseraient pas ; et sans arbre, nous ne pourrions pas faire de papier. Le nuage est essentiel pour que le papier soit ici devant nous. Sans le nuage, pas de feuille de papier. Ainsi, il est possible de dire que le nuage et la feuille de papier « inter-sont ».
En regardant encore plus en profondeur dans cette feuille de papier, nous y voyons aussi le soleil. Sans soleil, la forêt ne pourrait pousser. En fait, rien ne pourrait pousser, nous ne pourrions pas nous développer. Par conséquent, nous percevons aussi la présence du soleil dans cette feuille de papier. Le papier et le soleil inter-sont.
Le Cœur de la Compréhension, Thich Nhat Hanh

Comprendre que toutes les choses sont interdépendantes et impermanentes (éphémères) permet d’apaiser la souffrance : si on conçoit que tout est lié, que tout est vide d’existence propre, alors on peut se détacher de ses désirs, de ses illusions, et intégrer pleinement le monde pour vivre de manière plus sereine.

Par ailleurs, le bouddhisme décrit l’enchaînement causal menant à la souffrance. Ce sont les douze liens d’interdépendance, le premier d’entre eux étant l’ignorance. L’ignorance permet aux créations mentales illusoires de naître. Une conscience se manifeste alors, qui perçoit différents agrégats comme étant des personnes ou des objets. Cette conscience donne l’impression d’exister en tant qu’individu doté de facultés sensorielles et d’une pensée autonome. Ceci fait naître les désirs, l’attachement et l’illusion d’une existence éternelle, toujours déçue par l’arrivée de la vieillesse et de la mort.

Ce phénomène de coproduction conditionnée peut se résumer de la manière suivante :

Ceci étant, cela devient ;
ceci apparaissant, cela naît.
Ceci n’étant pas, cela ne devient pas ;
ceci cessant, cela cesse de naître.

D’autre part, le bouddhisme décrit la causalité à travers le karma. Chaque action (cause) génère, consciemment ou non, un contrebalancement (effet). L’effet est appelé karma : c’est le résultat de ce que l’on a invité dans nos vies, et que nous devrons “récolter”. Tant que nous avons du karma positif ou négatif, nous devrons revenir sur Terre pour recevoir la récolte de ce que nous avons semé.

Enfin, le bouddhisme décrit le nirvana comme la fin de l’ignorance et des illusions ; c’est la reconnaissance de la vacuité de toute chose.

L’interdépendance dans le taoïsme.

Nous l’avons vu, le bouddhisme décrit l’interdépendance comme un phénomène naturel, mais aussi comme un phénomène qui peut faire naître la souffrance s’il est mal compris. Il en va de même dans le taoïsme.

Le taoïsme exprime d’abord l’interdépendance de toutes les dualités, à l’image du symbole du yin et du yang :

Etre et non-être se créent l’un l’autre.
Difficile et facile s’entretiennent l’un l’autre.
Long et court se définissent l’un l’autre.
Haut et bas dépendent l’un de l’autre.
Avant et après se suivent l’un l’autre.
Tao Te King, 2

Par ailleurs, Lao Tseu invite à ne pas s’attacher aux concepts (vus en tant qu’agrégats, éléments autonomes et séparés du monde) :

Nommer est l’origine
de toutes choses particulières.
Libre du désir, tu comprends le mystère.
Pris dans le désir, tu ne vois que les manifestations.
Tao Te King, 1

Il invite enfin à s’extraire de la conditionnalité et de la dualité pour se tenir au centre, en équilibre, près de la Grande Source :

Au début était le Tao.
Toutes choses en jaillissent,
toutes choses y retournent.
Pour trouver l’origine,
remonte à la source des manifestations.
Tao Te King, 52

L’interdépendance dans le stoïcisme : définition.

Pour Héraclite, philosophe grec du VIème siècle avant J-C, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Tout étant interconnecté, tout est en perpétuel changement : le fleuve qu’on croit voir identique n’est en réalité jamais le même.

Pour les stoïciens, il n’existe pas de situation stable, de phénomène éternel, ni d’individus autonomes ; tout est interdépendant dans le Tout :

Tu as subsisté comme partie du Tout. Tu disparaîtras dans ce qui t’a produit, ou plutôt, tu seras repris, par transformation, dans sa raison génératrice. Marc-Aurèle

La conception stoïcienne est logique et pragmatique : elle se fonde sur la causalité des faits et des actions, selon une relation temporelle.

Le monde et la vie forment un tout souple dans lequel les choses sont ordonnées et coordonnées, c’est la sympatheia des stoïciens :

La substance du tout est docile et plastique. La raison qui la règle n’a en elle-même aucun motif de mal faire, car elle n’a rien de mauvais, ne fait aucun mal et ne cause aucun dommage à rien. Tout naît et s’achève par elle. Marc-Aurèle

Lire aussi notre article complet sur le stoïcisme.

Conclusion.

Aborder l’interdépendance, c’est réaliser que les choses n’ont pas de consistance en elles-mêmes, et que l’ego est un simple « agrégat ».

Les choses n’existent pas en tant qu’objets séparés. Les individus n’existent pas non plus en tant que sujets indépendants : seule leur interconnexion est.

Comprendre que tout est interdépendant nous permet de fusionner avec le Tout. Le monde est un vaste réseau de phénomènes interdépendants, le cosmos est une sorte de grand être vivant, unitaire et éternel. Réaliser cela mène au bonheur, celui de nous voir comme tout et rien à la fois.

Lire aussi notre article : Je suis tout et rien à la fois.

Pour aller plus loin sur l’interdépendance et sa définition :

  • L’Enseignement du Bouddha. D’après les textes les plus anciens, de Walpola Rahula. Très bel exposé des principes fondamentaux de la doctrine bouddhique, tels qu’on les trouve dans les textes fondateurs.
  • Le Tao Te King, de Lao-tseu, traduit par Stephen Mitchell. Le Tao Te King est un joyau de l’humanité, un texte qui accompagne le cherchant durant toute sa vie. Cette traduction, moderne, accessible et poétique, et sans doute la meilleure.
  • Le stoïcisme, de Jean-Baptiste Gourinat.

Modif. le 16 août 2021

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