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Anarchisme et taoïsme : points communs

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Anarchisme et taoïsme : quels points communs et ressemblances ? En quoi le taoïsme est-il un anarchisme ?

Précisons tout d’abord qu’il n’y pas de lien de parenté entre taoïsme et anarchisme. Le premier est né au VIème siècle avant J-C, le second a moins de 200 ans : 25 siècles séparent donc les deux idéologies.

Les premiers penseurs anarchistes ne se sont pas inspirés du taoïsme. C’est bien plus tard que des ressemblances ont été pointées, certains allant jusqu’à considérer les taoïstes comme les précurseurs de l’anarchisme.

Quoi qu’il en soit, nous allons voir que ces deux philosophies présentent d’évidentes similitudes.

Voyons en quoi anarchisme et taoïsme se rejoignent.

Lire aussi : Le taoïsme : définition et principes fondamentaux.

Anarchisme et taoïsme : définitions.

L’anarchisme (du grec anarkhia : “absence d’autorité”) est un courant politique anti-autoritaire, refusant toute forme de pouvoir supérieur. L’anarchisme prône une société sans Etat, sans gouvernement, ni classe sociale dominante.

L’anarchisme n’est pas pour autant un désordre. Son but est au contraire la fondation d’une société ordonnée, organisée et harmonieuse, bien que dépourvue de système étatique centralisé. L’anarchisme peut donc être défini comme l’ordre sans autorité. (lire notre article sur la différence entre anarchie et anarchisme).

Le taoïsme est une philosophie religieuse chinoise fondée par Lao Tseu au VIème siècle avant J-C. Le canon taoïste se compose de trois livres :

  1. le Tao Te King de Lao Tseu (Livre de la Voie et de la Vertu) : ouvrage le plus important du taoïsme, il comporte une forte dimension spirituelle, métaphysique, mais aussi politique puisque de nombreux préceptes concernent la meilleure façon de gouverner,
  2. les œuvres de Tchouang Tseu (Classique véritable de Nanhua),
  3. les œuvres de Lie Tseu (Vrai classique du vide parfait).

Le taoïsme est une philosophie religieuse qui prône l’équilibre, le calme mental, l’harmonie avec la nature ainsi que le respect de l’ordre des choses. Le taoïsme est la philosophie du « tao » : la Grande Source, le pivot du monde, la voie à suivre.

L’éthique de vie taoïste se fonde sur le non-agir : il s’agit de placer son action dans l’ordre des choses, sans rien attendre ni espérer. Le non-agir suggère une action naturelle, douce et équilibrée, en conformité avec le tao, c’est-à-dire avec les lois de la Nature.

Cette approche suggère que toute tentative de détourner le cours des choses pour soi-même est vouée à l’échec. Par conséquent, essayer de contrôler l’avenir ou de diriger les gens ne peut mener qu’au désordre : on voit bien là le fondement d’une pensée anarchiste.

Le taoïsme : un anarchisme ?

Le taoïsme peut être vu comme une philosophie anarchiste. En effet, le taoïsme :

  • appelle le peuple à ne pas attendre son salut des dirigeants, même si ces derniers sont bien intentionnés,
  • juge contre-productive toute tentative de contrôle de la population,
  • juge mauvaise toute ambition politique,
  • rejette les lois et les institutions, car elles s’octroient le monopole de la morale et de la justice, alors que ces valeurs doivent être cultivées au sein même de la population,
  • rejette l’usage de la violence légitime,
  • affirme que seule l’autorégulation des individus peut mener au bonheur et à l’harmonie.

Citons ces passages du Tao Te King de Lao-tseu :

Si l’on surestime les grands hommes,
les gens deviennent dépendants.
Si l’on surévalue les biens matériels,
les gens commencent à voler.
Tao Te King, 3

Diriger sans tenter de contrôler :
ceci est la suprême vertu.
Tao Te King, 10

Laisse tomber la sagesse et la sainteté,
et les gens seront cent fois plus heureux.
Laisse tomber la moralité et la justice,
et les gens feront ce qui est juste.
Laisse tomber l’industrie et le profit,
et il n’y aura pas de voleurs.
Tao Te King, 19

Qui fait confiance au Tao pour gouverner les hommes
n’essaie pas de forcer les choses
ou de défaire ses ennemis par la force des armes.
A toute chose, il y a une force opposée.
La violence, même bien intentionnée,
frappe toujours en retour.
Tao Te King, 30

Si les puissants et les puissantes
pouvaient rester centrés dans le Tao,
toutes choses seraient en harmonie.
Le monde deviendrait un paradis.
Les gens seraient en paix
et la loi serait inscrite dans les cœurs.
(…) Le monde entier se transformerait
de lui-même, dans ses rythmes naturels.
Les gens seraient heureux
de leur vie quotidienne,
en harmonie et libres de tout désir.
Tao Te King, 32, 37

Le Maître ne court pas après le pouvoir ;
ainsi est-il vraiment puissant.
L’homme ordinaire est tendu vers le pouvoir ;
ainsi n’en a-t-il jamais assez.
Tao Te King, 38

Si tu attends des autres ton épanouissement,
tu ne seras jamais véritablement comblé.
Tao Te King, 44

Quand de riches spéculateurs prospèrent
alors que les paysans perdent leurs terres ;
quand le gouvernement dépense de l’argent
en armes plutôt qu’en remèdes ;
quand la classe supérieure est extravagante et irresponsable
alors que les pauvres n’ont nulle part où se tourner – tout cela est vol et chaos.
Ce n’est pas être en accord avec le Tao.
Tao Te King, 53

Si tu veux être un grand dirigeant,
apprends à suivre le Tao.
N’essaie pas de contrôler.
Laisse tomber les plans et les concepts,
et le monde se gouvernera lui-même.
Plus tu imposes d’interdictions,
moins les gens seront vertueux.
Plus tu as d’armes,
moins les gens seront en sécurité.
Plus tu mets en place d’assistance,
moins les gens seront autonomes.
C’est pourquoi le Maître dit :
je laisse tomber la loi,
et les gens deviennent honnêtes.
Je laisse tomber l’économie,
et les gens deviennent prospères.
Je laisse tomber la religion,
et les gens deviennent sereins.
Je laisse tomber tout désir pour le bien commun,
et le bien devient aussi commun que l’herbe.
Tao Te King, 57

Si l’on gouverne un pays avec tolérance,
les gens seront tranquilles et honnêtes.
Si l’on gouverne un pays par la répression,
les gens sont déprimés et retors.
Quand la volonté de pouvoir domine,
plus grands sont les idéaux, plus petits sont les résultats.
Essaie de rendre les gens heureux,
et tu poses les fondements de la misère.
Essaie de rendre les gens vertueux,
et tu poses les fondements du vice.
Ainsi le Maître se contente
de servir d’exemple
et de ne pas imposer sa volonté.
Tao Te King, 58

Gouverner un grand pays
est comme frire un petit poisson.
Tu le gâtes en le faisant trop cuire.
Ne donne au mal rien à quoi s’opposer
et il disparaîtra de lui-même.
Tao Te King, 60

Quand ils pensent connaître les réponses,
les gens sont difficiles à guider.
Quand ils savent qu’ils ne savent pas,
les gens peuvent trouver leur propre voie.
Si tu veux apprendre à gouverner,
évite d’être riche ou astucieux.
Le modèle le plus simple est le plus clair.
Satisfait d’une vie ordinaire,
à tous, tu peux montrer la voie
pour retourner à la vraie nature.
Tao Te King, 65

Agis dans l’intérêt des gens.
Fais-leur confiance ; laisse-les tranquilles.
Tao Te King, 75

Enfin, Lao-tseu rejette la technologie et le productivisme :

Si un pays est gouverné avec sagesse,
ses habitants sont satisfaits.
Ils aiment travailler de leurs mains
et ne perdent pas de temps à inventer
des machines pour économiser leur temps.
(…) Il peut y avoir un arsenal rempli d’armes,
mais personne ne les utilise jamais.
Les gens apprécient leur nourriture,
prennent plaisir à être en famille,
passent leur temps à cultiver leurs jardins,
se réjouissent de ce que font leurs voisins.
Tao Te King, 80

L’anarchisme apparaît aussi comme une évidence dans les Œuvres de Maître Tchouang, deuxième livre du taoïsme :

« Les poissons ne doivent point quitter les profonds abysses, les armes du pouvoir ne se laissent point voir », a dit Lao Tseu. Les saints sont les armes du pouvoir. Ils ne devraient donc pas paraître. C’est la raison pour laquelle je dis : supprimons les saints, congédions l’intelligence et les grands brigands disparaîtront ; brisons les jades, pulvérisons les perles, et il n’y aura plus de petits voleurs ! Oui, brûlons les contrats, détruisons les sceaux et le peuple retrouvera son honnêteté première. Débitons les boisseaux, réduisons en miette les balances, et il n’y aura plus de disputes parmi le peuple. Déchirons les lois des saints et le peuple retrouvera sa sûreté de jugement.
Chapitre 10.

Tchouang Tseu appelle donc à congédier les dirigeants qui s’octroient le monopole de la sagesse, de l’intelligence et de la richesse. Il rejette les institutions, les lois, les contrats, les règlements et les unités de mesure utilisées pour les échanges.

Enfin, le taoïste Xi Kang (223-262), un des Sept Sages de la forêt de bambous, rejette lui-aussi toute forme de pouvoir et de hiérarchie.

A quel courant de l’anarchisme le taoïsme se rattache-t-il ?

Le taoïsme est un anarchisme authentique : l’objectif est la paix et l’harmonie au sein du peuple, rendus possibles par l’auto-régulation naturelle.

Dans cette perspective, les dirigeants vertueux n’en seraient pas vraiment puisqu’ils seraient de simples citoyens, sages, dont le comportement serait cité en exemple. Ils se contenteraient d’aider et de soutenir leurs concitoyens.

Dans la vision taoïste, la propriété et le goût de posséder sont proscrits. Ceux qui pensent détenir la vérité sont mis à l’écart.

L’anarchisme taoïste n’est pas un individualisme total, même si l’objectif premier est l’épanouissement de chacun dans le tao. Le groupe, la société et la nation ne sont pas effacés.

Enfin, l’anarchisme taoïste est de tendance écologiste et anti-productiviste (voire primitiviste) : l’authenticité d’une vie simple et proche de la nature est préférée à la technologie et aux tourments du monde moderne. Pour preuve, l’intitulé du chapitre 11 des Œuvres de Maître Tchouang : On ne dirige pas le monde, on le préserve.

Lire aussi notre article : Anarchisme et christianisme.

Pour enrichir votre bibliothèque :

  • L’anarchisme, d’Edouard Jourdain.
  • Le Tao Te King, de Lao-tseu, traduit par Stephen Mitchell. Le Tao Te King est un joyau de l’humanité, un texte qui accompagne le cherchant durant toute sa vie. Cette traduction, moderne, accessible et poétique, et sans doute la meilleure.
  • Les Oeuvres de Maître Tchouangde Tchouang-tseu, traduit par Jean Levi. Une magnifique traduction qui rend hommage à la beauté du texte original, sans se perdre dans les lourdeurs rébarbatives.

Modif. le 8 février 2021

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