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Antispécisme : définition philosophique

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L’antispécisme : qu’est-ce que c’est ? Que signifie être spéciste ou au contraire antispéciste ? Est-ce un humanisme ? Quels sont les dangers et dérives de l’antispécisme ?

L’antispécisme est un terme de plus en plus utilisé, qui recouvre des courants de pensée parfois différents (animalisme, véganisme…). Il est cependant possible d’en tirer une définition générale.

Définition : L’antispécisme est un courant philosophique selon lequel l’espèce d’appartenance d’un animal ne doit pas fonder la manière de le considérer ou de le traiter.

Cela de la même manière que, pour les antiracistes, la race ne doit pas déterminer ce qu’on peut faire d’une personne, par exemple la possibilité de la discriminer. Le spécisme serait donc l’équivalent du racisme, et l’antispécisme l’équivalent de l’antiracisme.

Remarque : L’antispécisme concerne les relations entre l’homme et les autres animaux (les végétaux ne sont pas concernés).

Concrètement, les antispécistes rejettent l’idée que l’homme se place au sommet du règne animal, comme le montre la représentation qui suit, souvent utilisée par les militants antispécistes :

argument antispécisme

L’antispécisme est né dans les années 1970 et n’a cessé de se développer depuis. En France, des personnalités médiatiques comme Aymeric Caron ont contribué à faire connaître l’antispécisme. L’antispécisme est particulièrement actif en Suisse et dans d’autres pays européens.

Tentons de donner une définition philosophique de l’antispécisme.

Antispécisme : définition philosophique.

Les antispécistes considèrent que tous les animaux, humains compris, ont la même importance, le même droit à vivre, et que leur sensibilité et leurs souffrances doivent être pris en compte.

Cela ne veut pas dire que les humains sont « comme » les animaux (ils sont bien sûr différents), mais que tous ont le droit de ne pas être oppressés.

De manière générale, les spécistes :

  • considèrent que les humains, en tirant parti de leur supériorité, « oppressent » les animaux. Les animaux sont injustement discriminés et doivent être « libérés »,
  • refusent l’utilisation ou l’exploitation des animaux pour le travail, les loisirs (cirque, tauromachie…) ou encore les expérimentations scientifiques,
  • refusent de consommer tout produit d’origine animale, y compris leurs dérivés (fromage, lait, miel, cuir…), ce qui s’apparente au véganisme ou au végétalisme,
  • dénoncent la consommation massive de viande (parfois appelée « zoocide »),
  • dénoncent voire s’attaquent aux lieux de vente de viande et de produits animaux (boucheries par exemple),
  • s’opposent à la pratique de la chasse,
  • tentent d’alerter l’opinion publique sur la « cause » des animaux, par différents moyens.

Antispécisme, antiracisme, féminisme.

Les antispécistes font souvent le parallèle entre leur cause et le féminisme ou tout autre forme de lutte contre les discriminations touchant les minorités. Il s’agit d’une position morale selon laquelle les « oppresseurs » doivent arrêter de dicter leur loi.

Antispécisme et écologie.

L’antispécisme peut être vu comme une forme d’écologisme.

Mais en réalité, beaucoup d’antispécistes disent être opposés à la vision écologiste. En effet, les écologistes cherchent à préserver l’équilibre général de la nature : ils sont attachés à la biodiversité, quitte à ce que les espèces se mangent entre elles. Au contraire, les antispécistes s’intéressent au sort sensible de chacun des habitants de la maison Terre. A titre d’exemple, le retour du loup dans certaines régions ne satisfera pas les antispécistes.

Ainsi, un antispéciste s’intéressera au sort de chaque individu vivant, alors qu’un écologiste s’intéressera au sort de la nature dans son ensemble.

Antispécisme et capitalisme.

L’antispécisme dénonce les dérives de notre société de consommation et son impact sur les animaux, notamment dans un système capitaliste où tous les moyens sont bons pour produire et pour vendre (industrialisation du traitement des animaux, marketing). Ainsi l’antispécisme est souvent un anticapitalisme. Mais les antispécistes dénoncent aussi le traitement réservé aux animaux dans les sociétés archaïques, traditionnelles ou non-capitalistes.

Antispécisme et humanisme.

En attachant de l’importance à chaque individu vivant, en lui reconnaissant des droits, l’antispécisme est une forme particulière d’humanisme, mais un humanisme qui ne concerne pas que les humains, ce qui peut sembler paradoxal. L’antispécisme parle de l’individu-être-vivant, humain ou non-humain, et de son droit à vivre et à ne pas être discriminé ou exploité, quelle que soit son espèce, son origine, son sexe ou ses caractéristiques.

Antispécisme et morale.

L’antispécisme est un phénomène de pensée typiquement humain, car il défend une éthique ; il définit une limite morale, des droits et des devoirs. La morale n’est-elle pas le propre de l’homme ? L’antispécisme est donc, par définition, un humanisme.

Antispécisme et religion.

Des philosophes tels que Michel Onfray avancent que le spécisme aurait été largement encouragé par les religions monothéistes. Ces dernières n’accorderaient aucune place aux animaux et ne s’intéresseraient qu’à l’homme et à son rapport à Dieu.

Ça n’est pas pour autant qu’il faut voir dans les textes sacrés une forme de spécisme ou un encouragement à maltraiter les animaux. Loin de mettre l’homme sur un piédestal, les religions appellent à l’humilité et au respect des lois naturelles. Elles pointent du doigt le péché originel qui consiste, par orgueil, à vouloir tout contrôler, tout savoir, tout maîtriser… y compris les animaux.

Avant de croquer dans le fruit défendu, Adam et Eve n’étaient-ils pas comme des animaux, vierges de tout mauvais comportement et de toute mauvaise pensée ?

Les religions d’Asie, quant à elles, prônent le détachement, la tolérance, l’équilibre et l’harmonie. Elles rappellent l’unité du règne vivant. Cela n’est pas spéciste.

Les dangers et dérives de l’antispécisme.

Nous l’avons vu, l’antispécisme n’est pas un extrémisme. C’est au contraire une réflexion philosophique et morale sur le comportement que l’homme doit adopter vis-à-vis du vivant, en l’occurrence des animaux. L’antispécisme est donc légitime.

Mais nombre d’antispécistes se prêtent à des dérives. En effet, certains mènent une « lutte » contre ce qu’ils appellent l’injustice, quitte à enfreindre la loi. L’antispécisme devient intolérant voire intégriste lorsqu’il renonce à la pédagogie et à la politique pour imposer sa propre vision des choses : ce serait un combat du bien contre le mal. Mais tous les mouvements de pensée sont menacés par des dérives autoritaires ou sectaires : ça n’est pas le propre de l’antispécisme…

Beaucoup plus grave, l’antispécisme peut donner lieu à deux types de dérives caractérisées :

  • la haine de l’homme. L’homme serait cet être violent et pervers, foncièrement orgueilleux, cruel envers les faibles et les animaux. Il serait une erreur de la Nature, et les choses iraient bien mieux s’il disparaissait…
  • la haine de la Nature. Notre monde et les lois naturelles qui le régissent permettent la cruauté, la prédation, la souffrance : il serait donc vide de sens.

La dérive anti-humaniste.

Certains militants antispécistes souhaitent que l’homme abandonne tous les avantages qu’il s’est accordé vis-à-vis de la nature et du vivant.

L’homme renoncerait ainsi à la plupart de ses activités visant à organiser la nature et la vie (agriculture, construction, aménagement du territoire, régulation des espèces…). Cela aboutirait à l’effondrement de la civilisation et de la culture, et à la disparition de certains droits essentiels comme la liberté, ou le droit à l’avortement par exemple.

La dérive est évidente : au lieu d’aboutir à un monde harmonieux dans lequel les civilisations humaines co-existent paisiblement avec le reste du règne vivant, l’humanité disparaîtrait en tant que telle. Ce serait nier les spécificités de l’homme au sein du vivant.

A noter que certains antispécistes assimilent l’humanisme au spécisme.

La dérive pseudo-anarchiste.

Sur le plan politique, l’anarchisme décrit une forme de société auto-organisée, sans autorité supérieure. Certains antispécistes déforment cette définition pour l’appliquer à l’homme dans la nature : l’homme cesserait de vouloir tout organiser. Ce dévoiement de la pensée anarchiste mènerait là encore à un anti-humanisme.

La dérive nihiliste.

L’antispécisme poussé à son extrême peut aboutir au nihilisme. A titre d’exemple, certains antispécistes incluent les végétaux dans leur raisonnement de non-discrimination : manger un végétal, cultiver des arbres ou des plantes pour se nourrir serait criminel. Ainsi les fruitariens, adeptes du fruitarisme, ne mangent que des fruits tombés naturellement des arbres.

Cette vision qui semble rejeter les loi naturelles aboutit à inférioriser l’homme, à le culpabiliser et à le montrer comme un être dénué de sens, dans une Nature peut-être elle-même dénuée de sens…

Réflexion sur l’homme et sa place dans le règne animal.

Pour se faire sa propre opinion sur l’antispécisme, il faut essayer de comprendre le fonctionnement du règne animal et la place de l’homme en son sein.

La prédation au sein de la nature.

La prédation est présente au sein de la nature. La chaîne alimentaire est un moyen pour la vie de perdurer, de se réorganiser, de se renouveler en donnant naissance à de nouveaux individus plus adaptés. La prédation n’est donc pas contraire a priori aux « lois de la nature ». Dire que la prédation est « mal » est une interprétation pour le moins discutable.

De même, la souffrance et la peur sont naturellement présentes chez les animaux : elles permettent aux êtres vivants de lutter plus efficacement pour leur survie.

L’homme doit-il pour autant se conduire en prédateur aveugle ? Doit-il pour autant faire souffrir les animaux par plaisir ? Non, car le fait qu’il ait un certain niveau de pouvoir et de conscience lui donne des responsabilités.

L’homme est un animal particulier, un animal conscient.

L’homme est à la fois un animal et autre chose qu’un animal. Il fait partie intégrante de la nature, et même s’il prétend tout modeler (et effectivement il modèle tout), il reste un élément de la nature. Mais l’homme a développé une spécificité par rapport aux autres animaux : une forme de conscience différente.

La conscience de l’homme est plus réflexive que celles des animaux. L’être humain a une plus grande capacité de recul. Il développe son intellect. Cette spécificité a des conséquences qui nous intéressent ici :

  • sentiment de liberté : je peux penser ce que je veux, faire ce que je veux,
  • parfois, sentiment de toute puissance (orgueil, ignorance, fanatisme), conduisant à la domination et à l’exploitation des individus ou des espèces plus « faibles »,
  • mais aussi, questionnement permanent sur ce qu’il faut penser ou faire, recherche de vérité et de sens, d’un ordre idéal, développement de croyances, naissance d’une éthique et d’une morale.

Ainsi l’homme se fixe la loi de sa propre action. Sur quoi peut-il s’appuyer pour cela ? Sans doute sur sa raison, le bon sens, et sur l’observation des lois naturelles.

Ainsi peut-on dire que la prédation, si elle semble naturelle, est dans certains cas immorale : par exemple si elle n’est pas utile.

C’est pourquoi :

  • on ne peut pas reprocher à un habitant d’un bidonville d’élever quelques poules pour s’en nourrir, ou d’utiliser un âne pour travailler,
  • on ne peut pas reprocher à un forain d’utiliser des animaux pour son cirque si c’est son seul moyen de subsistance, à moins de lui en donner un autre,
  • a contrario, on peut tout à fait reprocher aux habitants d’un pays riche de manger de la viande, car il existe un grand nombre de solutions de substitution.

N’est-ce pas le bon sens ?

Conclusion : pour une réconciliation avec les animaux et la nature.

L’antispécisme est né dans des pays aisés où il semble qu’il ne soit plus nécessaire d’élever des animaux pour s’en nourrir, ou de les exploiter pour vivre.

De façon générale, l’antispécisme est profondément moral et légitime.

La question est : où doit s’arrêter l’antispécisme ? Doit-on accorder les mêmes droits aux plantes, aux virus, aux insectes, aux dauphins et aux chats ? Doit-on lutter contre le spécisme partout et de la même manière ?

L’antispécisme est la voie d’un recentrage nécessaire dans les rapports entre l’homme et l’animal. Il rappelle à l’homme ses responsabilités et ses devoirs du fait de son niveau de conscience particulier, et de son niveau de développement. En ce sens, l’antispécisme peut participer à la recherche d’un équilibre harmonieux. Mais il ne doit pas devenir un anti-humanisme culpabilisant ni un nihilisme déraciné.

Antispécisme : citations.

« Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison – hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur – de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces. »    Peter Singer, philosophe (un des fondateurs de l’antispécisme)

« Le mouvement antispéciste est en train de confisquer la cause animale et c’est très dommage. Oui, les animaux souffrent, ils nous ressemblent mais les antispécistes mettent toutes les espèces sur le même plan. Simplement, si nous étions des animaux comme les autres, nous ne nous préoccuperions pas des autres animaux. »   Alain Finkielkraut (considéré comme spéciste par les antispécistes)

Pour aller plus loin :

Modif. le 24 août 2023

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