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L’ultracrépidarianisme : parler de ce que l’on ne connaît pas

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L’ultracrépidarianisme : définition de ce syndrome. Qu’est-ce que l’ultracrépidarianisme ? En quoi est-il un obstacle à la démarche philosophique et scientifique ?

Ultracrépidarianisme est un mot apparu dans les années 2010 en France, fondé sur l’expression latine sutor, ne supra crepidam (« cordonnier, pas plus haut que la chaussure ») et qui pointe le défaut de ceux qui veulent aller plus loin (ultra) que la chaussure, c’est-à-dire de ceux qui parlent de choses qu’ils ne connaissent pas. On appelle ceux-là les ultracrépidariens.

Ce défaut ou syndrome peut s’appliquer à tous, mais il concerne particulièrement certains philosophes et scientifiques qui s’empressent de faire part de leurs certitudes, montrant trop d’assurance alors que leur démarche devrait être fondée sur la prudence.

L’ultracrépidarianisme interroge notre rapport à la vérité, au doute, à l’opinion et à l’autorité. Il pointe les dérives de ceux qui pensent que leur avis est important. Il éclaire les failles de notre système de pensée et de notre société médiatique, en particulier au moment de la crise de la Covid-19.

Tentons de donner une définition de l’ultracrépidarianisme.

L’ultracrépidarianisme : définition.

Définition : L’ultracrépidarianisme est le fait de parler de ce que l’on ne connaît pas.

Synonymes : science infuse, faux savant, « je-sais-tout »

Ce syndrome est courant au sein de la population : c’est le « café du commerce » où chacun donne son avis, où chacun défend son opinion sans rien connaître du fond du sujet, sans même chercher à en savoir plus.

Mais l’ultracrépidarianisme est plus inquiétant quand il concerne les philosophes et les scientifiques qui affirment haut et fort leurs idées, n’hésitant pas à participer aux débats médiatiques et aux polémiques stériles.

L’ultracrépidarianisme prend la forme d’un bavardage inutile, souvent clivant et parfois dangereux.

La philosophie : l’art de la mesure et de la sagesse.

Le vrai philosophe est celui qui adopte une attitude humble, prudente et sage.

Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. Socrate

Par cette formule, Socrate sous-entend que l’esprit humain vit dans l’erreur permanente : nos perceptions et nos pensées déforment constamment la réalité, par conséquent nous ne pouvons rien savoir de stable ni de définitif.

Or, réaliser cela est précisément ce qui nous permet de nous délivrer de nos illusions. Il faut y voir un encouragement à chercher toujours plus loin, à ne jamais s’arrêter de penser, d’analyser, d’approfondir. Ce qui fait dire que la philosophie est un chemin d’investigation permanente, doublé d’humilité.

Paradoxalement, le scepticisme de Socrate ouvre la voie de la compréhension, de l’acceptation et du progrès. Il faudra tenter de comprendre plutôt que juger, questionner plutôt qu’affirmer, déconstruire plutôt que construire.

Le philosophe est donc celui qui fuit les préjugés, les opinions et les certitudes : à l’inverse, il se confronte à lui-même, cherche à se connaître et à se remettre en cause. Par conséquent, il s’abstient le plus possible de participer aux débats publics et médiatiques, lieux d’une pensée immédiate, faussement assurée, presque toujours erronée.

Il sait donc éviter le piège de l’ultracrépidarianisme.

La science : l’art de la recherche et du doute.

De même, la démarche du scientifique se fonde sur la recherche, c’est-à-dire le dépassement de ce que l’on croyait savoir.

La recherche consiste à tenter de répondre à des questions dont on ne connaît pas a priori la réponse : il s’agit d’explorer de nouveaux territoires, d’ouvrir son esprit à de nouvelles idées.

Paradoxalement, la vérité scientifique ne peut donc être approchée que par le doute systématique.

C’est ainsi que le scientifique évitera le piège de l’ultracrépidarianisme : il s’abstiendra de s’exprimer trop tôt, en tous cas de parler de ce qu’il ne connaît pas, s’en tenant à des hypothèses prudentes, dans l’espoir de pouvoir dépasser son propre raisonnement.

Autrement dit, le doute est son moteur.

Ultracrépidarianisme : définition et exemples.

Parmi les exemples d’ultracrépidarianisme, citons :

  • les philosophes médiatiques qui s’empressent d’avoir un avis tranché sur tout, en particulier sur les sujets d’actualité : Michel Onfray, Bernard Henri-Lévy, Raphaël Enthoven, Eric Zemmour et bien d’autres,
  • les scientifiques ou pseudo-experts qui donnent leur avis sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas, par exemple la Covid-19,
  • les hommes politiques qui affirment avoir toutes les réponses aux problèmes de la société (notons que le goût du pouvoir est lié à l’ultracrépidarianisme),
  • les éditorialistes ou journalistes politiques qui donnent leur « éclairage » sans avoir de connaissance approfondie des thèmes qu’ils traitent,
  • etc.

Plus généralement, on observe des cas d’ultracrépidarianisme au quotidien, à travers des personnes qui font preuve de bagout, d’éloquence, ou qui usent d’arguments de légitimité ou d’autorité dus à leur sexe ou leur position sociale.

Ces personnes rappellent les sophistes (littéralement, les « spécialistes du savoir ») de l’Antiquité grecque, orateurs ayant pour seul but de convaincre, sans se soucier de la vérité elle-même.

Les causes de l’ultracrépidarianisme.

L’ultracrépidarianisme peut provenir de la peur du vide ou du « je ne sais pas », qui incite par exemple les journalistes à interroger les scientifiques même quand il n’existe aucune réponse, confondant recherche et expertise.

A noter que la multiplication des flux d’information et la baisse de leur qualité forment un terreau favorable au développement de ce syndrome.

L’ultracrépidarianisme peut aussi venir d’un désir de reconnaissance de celui qui parle, ou d’un sentiment d’orgueil, de supériorité, ou encore de la honte d’avouer qu’il ne sait pas. Ces causes peuvent se doubler d’une pathologie narcissique (trouble de l’idéal du moi), souvent destructrice pour l’entourage.

Plus généralement, l’ultracrépidarianisme vient de l’ignorance de nos propres limites et de ce qui devrait fonder notre comportement au quotidien : l’écoute, l’effort de recherche et de compréhension, la prudence, l’humilité et la connaissance de soi.

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Modif. le 17 mars 2024

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