L’équilibre en franc-maçonnerie : comment interpréter cette notion ? En quoi le symbolisme maçonnique suggère-t-il un chemin d’équilibre ? Voici une planche au premier degré.
Les symboles maçonniques peuvent être interprétés isolément, mais s’ils sont abordés ensemble, ils suggèrent une voie médiane. L’équilibre se manifeste alors entre le compas et l’équerre, entre la Lune et le Soleil, entre le noir et le blanc du pavé mosaïque, ou encore entre Boaz et Jakin. Cette lecture invite à percevoir l’harmonie et l’ordre du monde, mais aussi à retrouver notre équilibre intérieur.
De façon générale, l’équilibre peut être abordé de deux manières différentes :
- il peut être vu comme un état stable, synonyme de paix, d’harmonie, de proportion, de justice ou de beauté,
- il peut aussi être abordé dans un sens plus dynamique : il serait alors une correction permanente des excès, une lutte des énergies opposées en vue d’un rééquilibrage à venir.
La notion d’équilibre questionne autant la structure cosmique que notre état mental. En effet, notre psychisme navigue sans cesse entre déséquilibre et équilibre, stabilité et instabilité, espérance et peur…
Voici une planche sur l’équilibre en franc-maçonnerie.
Voir aussi cette liste de planches au 1er degré
L’équilibre en franc-maçonnerie : interprétation
La méthode maçonnique ne cesse de suggérer l’équilibre. Le symbolisme maçonnique est fondamentalement ternaire, ce ternaire qui réconcilie les opposés. Parmi les symboles ternaires, les trois coups, les trois grandes lumières, le delta lumineux ou encore les trois ans de l’apprenti, mais aussi tous les couples de symboles qui invitent à trouver un troisième terme caché.
Sur le plan cosmique, l’équilibre ternaire est synonyme d’ordre et de cohérence. Autrement dit, la dualité ne peut s’exprimer que dans l’unité.
La loi d’équilibre, loi à la fois physique et métaphysique, montre que rien ne peut exister sans son contraire, sans son antithèse. Pas de noir sans blanc, pas de nadir sans zénith, pas de midi sans minuit, pas d’orient sans occident, pas d’intérieur sans extérieur, pas de sacré sans profane, pas de solstice d’été sans solstice d’hiver, pas de mort sans renaissance…
La loi d’équilibre est aussi la loi des cycles, lesquels expriment un éternel retour, et donc une sorte de justice cosmique. Et en effet, tout phénomène entraine un autre phénomène qui vient contrebalancer le premier. Chaque cause ayant un effet, et chaque effet ayant une cause, cela crée un cycle continu d’équilibres et de transformations.
Pourtant, sur le plan intérieur, cette loi de justice et d’équilibre est souvent difficile à percevoir…
La quête de l’équilibre intérieur
Au quotidien, il nous semble que le monde est déséquilibré, que la décadence guette et que l’injustice règne. Paradoxalement, c’est peut-être parce que nous aimons trop l’équilibre que nous voyons des déséquilibres partout…
Autre hypothèse, notre psychisme malade est incapable de percevoir l’équilibre du monde puisqu’il adopte un point de vue par définition subjectif, partiel et limité. Il nous est impossible de saisir les phénomènes dans leur globalité. Nous ne connaissons pas les causes (ni les effets) des évènements et des comportements, nous ne connaissons même pas les causes de nous-même. D’autre part, notre ego nous renvoie sans cesse à des échecs ou à des objectifs intenables qui nous éloignent de la notion d’équilibre.
A ce titre, la franc-maçonnerie nous propose un chemin de vérité et de réconciliation intime : une voie d’équilibre.
Le Soleil et la Lune : équilibrer Esprit et matière
Le Soleil et la Lune nous invitent à harmoniser deux réalités fondamentales : l’unité et la dualité.
La matière porte en elle-même la séparation, l’éloignement, l’incompréhension, bref les ténèbres. Mais elle peut aussi refléter l’unité du monde, cette réalité accessible uniquement par l’Esprit.
Il ne s’agit pas de dire que l’Esprit serait meilleur que la matière, mais de reconnaître qu’il ne pourrait y avoir d’expérience humaine sans la matière et, d’un autre côté, que cette expérience serait vaine sans l’Esprit.
Dit autrement, la vie implique lutte, souffrance et épreuves, mais par cela, elle permet d’accéder à des vérités supérieures ; ainsi, nous sommes invités à trouver le juste équilibre entre la vie (l’expérience concrète) et la conscience (l’expérience de l’abstrait).
L’équerre et le compas : équilibrer raison et intuition
De même, l’équerre et le compas représentent deux manières d’aborder la réalité : l’une par la raison, l’autre par l’intuition.
L’équerre incarne la dualité (les angles, le raisonnement fondé sur les concepts) alors que le compas exprime l’unité (le cercle, la spiritualité fondée sur le dépassement des paradoxes). Ainsi, l’association de l’équerre et du compas nous met en présence d’une réalité à la fois duale et unitaire, matérielle et spirituelle.
Se tenir en équilibre entre équerre et compas, c’est dépasser la logique binaire – tout en se fondant sur elle – pour accéder à la Vérité unitaire.
Le noir et le blanc du pavé mosaïque : la justice
Le pavé mosaïque nous met en présence de couples de termes opposés. Mais, loin de l’idée qu’un terme pourrait finir par dominer l’autre, la surface blanche reste parfaitement égale à la surface noire, comme dans le symbole du yin et du yang.
Cela éclaire en particulier la question du bien et du mal. En l’occurrence, le mal possède en lui-même un potentiel de bien. Se tenir en équilibre entre blanc et noir, c’est donc voir les ténèbres comme une opportunité de Lumière.
Boaz et Jakin : équilibrer rigueur et miséricorde
L’excès de sévérité produit la haine. L’excès d’indulgence affaiblit l’autorité. Sachez garder le milieu et vous ne serez exposé ni au mépris ni aux outrages. Il faut imiter le chirurgien qui, suivant le besoin, applique le fer ou le baume sur la blessure.
Saadi Shirazi (1210-1292, poète persan)
Les colonnes Boaz (« dans la force ») et Jakin (« il établira »), tout comme les piliers Rigueur et Miséricorde de l’arbre de vie kabbalistique, suggèrent une position intermédiaire à tenir entre volonté et réalisation. Il faut reconnaître que l’idéal se heurte parfois à la réalité, c’est pourquoi les grands principes humanistes doivent s’adapter aux faits selon le principe de Justice.
Entre bienveillance et rigueur, pardon et sévérité, douceur et fermeté, le franc-maçon agit avec discernement, comme le chirurgien qui sait apaiser avec le baume mais aussi corriger avec le fer.
L’équilibre : la voie de la sagesse
C’est en réglant ses inclinations et ses mœurs que l’on parvient à donner à son âme ce juste équilibre qui constitue la Sagesse, c’est-à-dire l’Art de la Vie.
Ce passage du rituel du premier degré nous invite à développer une forme de modération, de prudence, d’humilité et de tempérance. Cet équilibre, les francs-maçons appellent l’Art de la Vie.
Mais l’équilibre (intérieur) est difficile à atteindre. Il est plutôt une voie, un objectif sur lequel les initiés travaillent sans relâche.
Cette voie est semblable à celle du tao dans le taoïsme : un chemin de vie. C’est encore la voie du juste milieu telle que décrite dans le confucianisme (cf. le livre du Zhong Yong), sorte de sagesse pratique fondée sur la modération et l’harmonie.
Le Tao corrige excès et insuffisance
afin qu’il y ait parfait équilibre.
Il prend à ce qui est trop
et donne à ce qui n’est pas assez.
Tao Te King, 77
La voie du tao, du juste milieu ou de l’équilibre maçonnique invitent toutes trois :
- à comprendre plutôt que juger,
- à discerner plutôt que prendre parti,
- à demeurer juste et impartial,
- à nous détacher de toute forme d’orgueil et d’ambition,
- à vaincre l’illusion que nous sommes la mesure de toute chose,
- à cultiver espérance et confiance en l’avenir.
Ces principes sont aussi ceux du stoïcisme, cette philosophie de l’acceptation. Le stoïcisme est aussi une philosophie de l’ordre et du destin ; il prône sagesse et tempérance, l’objectif étant de parvenir à l’ataraxie, c’est-à-dire au calme mental.
Conclusion sur l’équilibre en franc-maçonnerie : vivre sur le fil
Le rituel nous invite à rester en équilibre, près de l’axe du monde (pour nous le fil à plomb), entre les colonnes Boaz et Jakin, ou encore au centre du cercle.
Le franc-maçon doit s’efforcer de tempérer ses émotions et ses passions sans pour autant les renier. Il doit faire appel à son intuition sans oublier la raison. Il doit être à la fois rigoureux et miséricordieux. Il doit tenter de s’épanouir dans la matière tout en progressant en esprit.
Cette voie de l’équilibre est une voie de justice et de sagesse. C’est une voie d’acceptation mais aussi une voie d’engagement. Entre pensée et action, idéal et pragmatisme, le franc-maçon est un funambule qui tente de progresser. S’il chute, il ne se relèvera que meilleur.
Pour aller plus loin :
Modif. le 5 mai 2025