Les Vers d’Or de Pythagore : comment interpréter ce célèbre poème de sagesse antique ? Quels sont les thèmes abordés ? Que faut-il en retenir ? Commentaire.
Composés en hexamètres (vers de six pieds), les Vers d’Or de Pythagore ou « Vers dorés » sont un poème moral et philosophique rattaché à la tradition pythagoricienne. Ils ne sont pas l’œuvre de Pythagore lui-même mais d’un auteur néopythagoricien inconnu. Ils résument les préceptes essentiels de la sagesse pythagoricienne, mêlant philosophie, éthique et spiritualité.
Le poème se compose de 71 vers appelant à mener une vie droite, fondée sur la justice, la mesure, la tempérance et la piété. Il enseigne la maîtrise de soi, le respect des dieux et des hommes, ainsi que la purification de l’âme par la connaissance et la vertu. Ces principes reflètent la pensée pythagoricienne selon laquelle l’Homme doit incarner en lui-même l’harmonie du cosmos.
De façon plus générale, les Vers d’Or expriment un idéal typique de la sagesse antique, entre raison et morale, le but étant de conduire l’âme vers l’immortalité. Ce texte a constitué une référence pour beaucoup de courants de la philosophie antique, médiévale et renaissante. Les néoplatoniciens en particulier ont utilisé les Vers d’Or dans le cadre de leur programme d’instruction morale.
A noter que les Vers d’Or ont été commentés dans l’Antiquité tardive, notamment par Hiéroclès d’Alexandrie, philosophe du Ve siècle.
Tentons d’analyse et d’interpréter les Vers d’or de Pythagore.
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Les Vers d’Or de Pythagore : interprétation
Condensé de préceptes éthiques et métaphysiques, les Vers d’Or s’ouvrent sur une invitation à honorer les dieux et se referme sur la promesse d’épouser leur nature immortelle, du moins pour ceux qui sauront mettre en oeuvre les préceptes énoncés.
Honneur et respect
Les cinq premiers vers invitent à honorer les dieux ainsi que leurs intermédiaires, mais aussi ses propres parents ainsi que tous les hommes vertueux. Il s’agit d’un appel à l’humilité : nous devons prendre la mesure du chemin à parcourir pour devenir à notre tour exemplaires.
De même, le « Respecte-toi toi-même » du vers 12 est un appel à se montrer digne et honorable.
Tolérance
Les Vers d’or constituent, à plusieurs titres, un appel à la tolérance :
- « Ne viens jamais à haïr ton ami pour une légère faute » (vers 7),
- « Il se fait parmi les hommes plusieurs sortes de raisonnements bons et mauvais. Ne les admire point légèrement et ne les rejette pas non plus » (vers 21 et 22).
Il s’agit donc de reconnaître que l’autre possède, comme nous, une part de la vérité. Il faut donc savoir écouter l’autre et aller plus loin que ses préjugés.
Vaincre ses passions
Le poème appelle à rejeter la gourmandise, la paresse, la luxure et la colère, dans une référence très directe aux péchés capitaux du christianisme, preuve que le texte a dû être amendé au cours des derniers siècles de l’Antiquité.
L’auteur prône la pratique de la justice, la règle et la raison (vers 13 et 14), mais aussi la patience (vers 23), la retenue et la tempérance (vers 27 à 29).
C’est par son libre choix (vers 54) que l’homme va vers le bien plutôt que vers la mal. Il faut donc cultiver une certaine force d’âme.
Memento mori (« Souviens-toi que tu vas mourir »)
Le vers 15 appelle à se souvenir que la mort est au bout du chemin : « Fait toujours cette réflexion que par la destinée, il est ordonné à tous les hommes de mourir ». De même, il ne sert à rien de s’attacher aux choses car « les biens de la fortune sont incertains » (vers 16).
Ces passages rappellent la pensée stoïcienne selon laquelle rien ne dure. En conséquence, il est vain de s’attacher aux choses.
Le vers 18 s’inscrit dans la même logique : « Supporte doucement ton sort tel qu’il est ».
Idem pour le vers 53 : « Tu n’espéreras point ce qu’on ne doit point espérer. »
Le désir de connaître
Dans une perspective très aristotélicienne, les vers 30 et 31 invitent à chercher et à comprendre avant de juger et d’agir. La philosophie n’est pas qu’amour de la sagesse : elle est aussi désir de connaissance.
« Ne fais jamais aucune des choses que tu ne sais point,
Mais apprend tout ce qu’il te faut savoir, et par ce moyen tu mèneras une vie délicieuse. »
De même, le vers 68 appelle à « discerner » et « examiner toutes choses ».
Mens sana in corpore sano
Les vers 32 à 44 énoncent les préceptes pythagoriciens relatifs à la santé du corps et de l’esprit, dont l’objectif est d’accoutumer l’âme à la pureté : pratique de l’exercice physique, rejet du luxe, mesure en toute chose, résistance aux tentations.
Le vers 67 fait allusion au végétarisme pratiqué par les Pythagoriciens.
Valeur centrale, la juste mesure doit conduire à ne pas dépenser son argent inutilement, sans toutefois se montrer avare.
D’autre part, l’auteur appelle à un examen de conscience permanent : « En quoi ai-je manqué ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je omis de ce que je devais faire ? » (vers 42).
Atteindre de l’immortalité
Le texte promet à ceux qui respecteront les préceptes d’accéder à la connaissance divine (vers 50) et à l’immortalité (vers 71) :
« Tu seras un Dieu immortel, incorruptible, et que la mort ne dominera plus. »
Le vers 63 précise que « la race des hommes est divine ». Autrement dit, l’Homme possède en lui un potentiel d’accès à la connaissance. De même, le vers 69 précise que l’Homme a accès à « l’entendement qui vient d’en-haut », ce qui signifie que l’esprit de l’Homme est connecté à l’esprit divin.
Le « sacré quaternaire »
Les vers 47 et 48 (mais aussi 51 et 52) font référence au « sacré quaternaire » ou Tétraktys chère aux Pythagoriciens :
« J’en jure par celui qui a transmis dans notre âme le sacré quaternaire, Source de la Nature, dont le cours est éternel. »
La Tétraktys, représentation des dix premiers nombres sous forme triangulaire, représente le cosmos tout entier (cf. le symbolisme du chiffre 4), autant dans sa dimension unitaire (chiffre 1) que conflictuelle (chiffre 2), ces deux aspects ayant vocation à se réconcilier dans l’harmonie (chiffre 3).

Rappelons que la Tétraktys faisait, chez les Pythagoriciens, l’objet d’une prière :
Ô sainte Tétraktys, toi qui contient la racine et la source de la création qui coule éternellement ! Car le nombre divin commence par l’unité profonde et pure jusqu’à arriver aux quatre saints.
Le commentaire d’Hiéroclès d’Alexandrie
Hiéroclès d’Alexandrie (Ve siècle), philosophe néoplatonicien grec, élève de Plutarque, est connu pour ses Commentaires sur les Vers d’or des Pythagoriciens. Dans cet ouvrage, il insiste notamment sur la piété, l’effort de connaissance de Dieu et de la loi divine.
Citons ce passage introductif :
La philosophie est la purification de la vie humaine et son achèvement ; sa purification, d’une part, de la déraison de la matière et du corps mortel, son achèvement, d’autre part, c’est-à-dire le recouvrement de la vie heureuse qui nous est propre et nous élève vers la ressemblance divine.
Ces résultats, la vertu et la vérité sont, par nature, les plus aptes à les accomplir, l’une en bannissant l’excès des passions, l’autre en obtenant la forme divine pour ceux qui ont pour elle un don naturel.
Il faut donc, en ce qui concerne cette science qui doit nous rendre purs et parfaits, disposer de certaines règles qui énoncent leurs définitions en peu de mots, telles des aphorismes techniques, afin que, avec ordre et suivant une bonne méthode, nous puissions parvenir à la perfection de la vie heureuse.
Parmi les règles de ce genre, qui tendent vers la philosophie tout entière, nous aurions toute raison d’attribuer une place de premier plan aux vers pythagoriciens, ceux qui sont encore qualifiés de « dorés ». Ces vers embrassent en effet les doctrines universelles de toute la philosophie, tant pratique que contemplative, grâce auxquelles on pourrait acquérir la vérité et la vertu, recouvrer la pureté, réussir à atteindre la ressemblance à Dieu et, comme le dit Timée chez Platon, ce maître scrupuleux de la doctrine pythagoricienne, « devenir sain et entier », « parvenir à la forme de son premier état ».
C’est en premier lieu que sont présentés les préceptes de la vertu pratique. Il faut en effet d’abord faire rentrer dans l’ordre la déraison et la nonchalance qui sont en nous, et ensuite, en cet état, s’appliquer à la connaissance des choses plus divines. De fait, de même que pour un œil chassieux et non purifié il n’est pas possible de voir les objets intensément lumineux, de même pour l’âme qui n’a pas acquis la vertu il n’y a pas moyen de voir, comme dans un miroir, la beauté de la vérité : pour un être impur en effet, se saisir d’un être pur ne saurait être permis.
Et c’est la philosophie pratique qui produit la vertu, tandis que la contemplative produit la vérité. Ainsi, dans les vers eux-mêmes, nous trouvons aussi que la philosophie pratique est qualifiée de vertu humaine et que la philosophie contemplative est célébrée en tant que vertu divine, dans le passage concluant le discours sur les préceptes de l’éducation politique, où il est dit :
Accomplis ces préceptes, médite-les, tu dois les aimer :
Ils te mettront sur les traces de la divine vertu.Tout d’abord donc, il faut devenir un homme, et seulement alors un dieu. Les vertus politiques rendent un homme bon, mais ce qui en fait un dieu, ce sont les sciences qui élèvent à la vertu divine.
Les petites choses précèdent les grandes dans l’ordre, pour ceux qui s’élèvent. C’est pourquoi aussi, dans les règles de conduite pythagoriciennes, le texte offre d’abord dans ses vers les préceptes concernant les vertus, en nous apprenant à partir du meilleur usage de la vie pour nous élever à la ressemblance divine. Et voici le but et l’ordonnance des Vers d’or : imprimer une empreinte philosophique.
Ils ont acquis le surnom de « dorés » parce que, pour autant qu’ils sont en vers, ils sont excellents et divins. De même en effet, nous qualifions de « dorée » la meilleure des races humaines en interprétant la diversité des mœurs à partir de l’analogie avec des éléments matériels. En outre, l’or n’est pas falsifié, il n’est pas souillé de terre comme ses semblables qui lui font suite, tels que l’argent, le cuivre et le fer. Vis-à-vis d’eux, l’or exerce par nature sa suprématie parce que, seul parmi les autres métaux, il ne produit pas de rouille, alors que chacun d’eux, dans la mesure où il participe à la terre, se transforme par là même en rouille. Done puisque la rouille semblable à la terre est appréciée à la façon du mal qui réside en la matière, la race sainte et pure et le genre de vie entièrement purifié de la perversité ont été à bon droit appelés « dorés ».
De même, à coup sûr, ces vers aussi ont été intitulés Vers d’or et divins parce qu’ils sont de bout en bout parfaits. Car il n’est pas vrai que l’un soit beau et l’autre non, comme dans quelque autre poème, mais tous font apparaître la pureté des mœurs, élèvent jusqu’à la ressemblance divine, et laissent voir le but ultime de la philosophie pythagoricienne.

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Modif. le 20 octobre 2025






