Platon et sa philosophie : qu’est-ce que la théorie des Idées ? que sont Dieu et la Nature selon Platon ? en quoi consiste la cité idéale ? Présentation et analyse critique.
Né dans une famille aristocratique, Platon (427–347 avant JC) est un philosophe grec, élève de Socrate et maître d’Aristote, fondateur de l’Académie à Athènes. Son œuvre, principalement écrite sous forme de dialogues, explore les thèmes de la justice, de la vérité, de la beauté ou encore de l’amour (sources et citations ici).
Platon développe la théorie des Idées (ou Formes), selon laquelle le monde sensible ne serait qu’une copie imparfaite d’un monde intelligible et éternel. Dans La République, il décrit une société idéale gouvernée par des philosophes-rois.
Platon influence profondément la pensée occidentale en métaphysique, épistémologie, éthique et politique. Son Allégorie de la caverne illustre sa vision de l’éducation comme un moyen de se libérer de l’ignorance.
Platon est influencé par Socrate, mais aussi les présocratiques Parménide, Héraclite et surtout Pythagore. Il s’inspire en outre de la tradition orphique et de celle des mystères d’Eleusis. Par ailleurs, il combat vigoureusement les sophistes.
Entrons dans la philosophie de Platon.
L’Académie de Platon
Platon rencontre Socrate à l’âge de 20 ans. Il est son disciple pendant 9 ans, jusqu’à la mort du maître en -399. Il assiste avec effarement au procès de Socrate et à sa condamnation à mort.
En -387, après un voyage en Egypte et en Italie du sud, où il rencontre des Pythagoriciens, il fonde son école à Athènes : l’Académie, qu’il dirigera pendant 40 ans, et qui est directement inspirée du modèle pythagoricien.
L’Académie enseigne la philosophie mais aussi la politique. Selon la légende, l’inscription Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre était présente sur le fronton de l’école.
Durant pas moins de neuf siècles, l’Académie formera les grands noms de la philosophie.
La philosophie de Platon : un idéalisme
Platon est un philosophe complet, dissertant autant sur la métaphysique que l’éthique, l’esthétique ou la politique, là où Socrate s’intéressait principalement à la morale.
Platon s’inspire des philosophes présocratiques, notamment Pythagore (la pensée abstraite, les mathématiques, la place de la philosophie dans la société), Héraclite (l’idée d’un mouvement permanent) ou encore Parménide et Anaxagore.
Il parvient à dépasser toutes ces influences pour créer une philosophie capable de réconcilier matière et esprit, mouvement et stabilité de l’Etre. Alors que les présocratiques doutaient de la possibilité de penser des choses qui n’ont aucune stabilité, Platon apporte une solution originale, qui permet à l’Homme de mieux approcher le réel : c’est la théorie des Idées.
Face aux sophistes, Platon repense la Loi et la Justice. Rejetant leur relativisme moral, il réfléchit aux conditions de la cité juste, et recherche des principes politiques stables.
D’autre part, Platon a largement été influencé par Socrate, son maître qu’il juge « l’homme le plus juste de cette époque ». Il retranscrit la pensée de Socrate sous forme de dialogues, ce qui lui permet de garder une certaine neutralité bienveillante.
La dialectique de Platon
La dialectique de Platon (méthode de raisonnement) reprend la maïeutique de Socrate, autrement dit l’art d’accoucher la pensée par le dialogue. Platon rédige presque toutes ses oeuvres sous forme de dialogue : c’est de son point de vue le seul moyen pour l’âme de s’approprier des idées nouvelles.
Dans ses dialogues, Platon n’arrive pas toujours à des réponses figées : il pratique une forme de scepticisme dans certains de ses raisonnements.
Parmi les autres méthodes dialectiques de Platon, citons le raisonnement par causes et conséquences, le raisonnement par division (création de séparations dans l’objet qu’on cherche à définir), ou encore l’usage du mythe, tel celui de la Caverne, qui permet une approche symbolique et intuitive.
La philosophie de Platon : les deux mondes
Pour Platon, il y a deux mondes, deux principes :
- le monde sensible, observable, donc support de la science. Mais ce monde est en perpétuel mouvement : les objets se transforment, se modifient sans cesse, se corrompent. Cette instabilité fait qu’on ne peut y trouver une connaissance vraie et certaine, sans compter que les observations varient selon les états d’âme de l’individu,
- le monde des Idées (le monde des Formes ou la « réalité intelligible ») est un monde non observable, accessible uniquement par l’esprit. Là se trouve la « vraie » science selon Platon, celle qui concerne les qualités intangibles de l’être.
Platon s’intéresse particulièrement à ce deuxième monde, c’est-à-dire aux objets immatériels immuables et incorruptibles, par exemple le Beau, le Bien, le Juste, le Courage, etc. Cependant, la théorie de Platon peine parfois à expliquer le rapport entre le sensible et l’idéal.
Par ailleurs, Platon évoque différents types ou degrés de connaissance :
- l’opinion (doxa) repose sur les sensations :
- la conjecture (eikasia) porte sur les objets illusoires,
- la foi (pistis) porte sur les êtres vivants et les objets fabriqués,
- la Connaissance véritable :
Pour Platon, l’âme humaine a accès à l’intellect. Elle est même dépositaire de la Connaissance. Mais cette connaissance a besoin d’être mobilisée, par le ressouvenir, la réfutation, la dialectique ou encore le mythe.
Notons que le ressouvenir (ou réminiscence) est la capacité de l’âme à faire émerger une connaissance présente mais enfouie, par exemple à l’occasion d’une perception sensible ou lors de l’évocation d’un mythe.
L’Allégorie de la caverne
L’Allégorie de la caverne (cliquez pour lire l’article complet) est un texte de La République, présenté sous la forme d’un dialogue entre Socrate et son élève Glaucon.
L’allégorie dénonce les idées reçues et la difficulté de changer ses habitudes mentales. Elle éclaire la notion d’ignorance, qui nous force à rester au fond de la caverne. La connaissance consiste à s’éloigner de nos perceptions illusoires pour accéder à la Lumière, c’est-à-dire aux idées raisonnables, ce qui nécessite effort et méthode.
Dans la région du connaissable, tout au bout, est la nature du Bien, qu’on a de la peine à voir, mais qui, une fois vue apparaît au raisonnement comme étant en définitive la cause universelle de toute rectitude et de toute beauté.
La « psychologie » platonicienne
Pour Platon, l’âme, immortelle, se compose de trois instances :
- l’appétit (épithumia) est le siège des désirs et des passions (en lien avec le bas-ventre),
- la colère (thumós) est la partie intermédiaire, irascible, agressive mais aussi déterminée et courageuse (en lien avec le coeur),
- la raison (noûs ou logistikon) est l’esprit, la partie rationnelle, immortelle de l’âme, en lien avec le divin.
Platon estime que les deux premières instances doivent être soumises à la troisième. La colère, notamment, est la force de vie qui doit être mise au service de la raison.
Si l’individu fait preuve de sagesse, il transformera sa colère en courage et son appétit en tempérance : c’est pour Platon la voie juste.
Par exemple, l’amour non soumis à la raison serait désir ou convoitise ; mais soumis à la raison, il devient goût pour le Beau, envie de rechercher le Beau.
Par ailleurs, Platon croit en la transmigration des âmes. Lors de chaque incarnation, l’âme se trouve enfermée dans le corps (soma), véritable tombe de l’esprit. Le but de l’individu est alors de se libérer de ses chaines matérielles pour accéder à la Connaissance enfouie, par réminiscence.
Immortelle et maintes fois renaissante, l’âme a tout vu, tant ici-bas qu’en Enfer, et il n’est rien qu’elle n’ait appris ; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que, sur la vertu et sur le reste, elle soit capable de se ressouvenir de ce qu’elle a su antérieurement.
Platon, Ménon
L’art selon Platon
Pour Platon, l’art ne devrait pas tenter de reproduire la Nature (qui n’est qu’une copie de l’Idéal) mais au contraire essayer de représenter directement les idéaux du Vrai, du Juste et du Beau.
Dieu et la Nature selon Platon
Pour Platon, le Dieu originel est fondamentalement bon. Doué de la plus haute Raison, il est l’artisan qui façonne le monde (la matière préexistante) en lui appliquant une Forme intelligible idéale, avant de se retirer.
Dans sa tâche, Dieu doit faire face au principe de nécessité issu de la matière, notamment lié au fait que tout est en mouvement. Autrement dit, Dieu soumet la matière au Beau.
Lorsque Dieu se retire, reste le monde créé qui peut alors être abordé comme un grand être vivant doté :
- d’une âme. L’âme du monde est un intermédiaire entre le sensible et l’intelligible, entre la matière et l’esprit. L’âme du monde tente, comme Dieu avant elle, d’influencer la matière en direction du Beau,
- d’un corps constitué des quatre éléments feu, air, eau et terre, que Platon associe aux polyèdres réguliers convexes (lire notre article : les solides de Platon). Ces composantes élémentaires, en se combinant, créent la diversité du monde.
Pour Platon, toute la matière est géométrique : les polyèdres sont issus de principes triangulaires ou rectangulaires. Par ailleurs, il associe l’esprit au cercle. Les animaux et les êtres humains sont eux-aussi composés d’éléments géométriques. Aristote et les stoïciens critiqueront cette approche.
Enfin, Platon développe une théorie de la santé physique et psychique. Pour lui, l’individu est en bonne santé s’il épouse l’ordre du monde.
La cité idéale
La philosophie de Platon est aussi politique. Dans La République, Platon considère la politique comme un devoir citoyen et un sujet philosophique d’importance. Notons que Platon avait abandonné la politique après avoir participé à un gouvernement qu’il jugeait excessif et despotique.
Pour Platon, la cité juste doit être construite selon le modèle du Bien ; elle doit mener les citoyens à vivre conformément à la Justice, ce qui leur garantira bonheur et santé. Il développe l’idée d’un gouvernement par un philosophe-roi, ce qui écarterait les dissensions des démocraties autant que la violence des autocraties.
Ce gouvernement de la Justice et de la vertu repose sur la philosophie, la formation des élites et l’éducation du peuple. Il débouche sur l’harmonie et la mesure, deux notions fondamentales chez Platon.
La vertu est l’art de mesurer.
Platon, Protagoras
Analyse critique de la philosophie de Platon
Platon place l’âme au coeur de sa philosophie, l’âme humaine mais aussi l’âme du monde. L’âme est en contact avec le monde des Formes, c’est-à-dire avec l’idéal d’une matière parfaitement ordonnée. L’âme, souvent sans le savoir, détient les clés de la vertu, donc du bonheur. Précisément, la philosophie est là pour révéler cette Connaissance enfouie.
Pour Platon, la matière préexiste à tout ; Dieu l’ordonne, l’organise selon des lois d’harmonie. Dieu s’étant retiré, il reste aux hommes et aux gouvernants à retrouver ces lois et à les faire vivre.
Le dualisme platonicien esprit-matière a souvent été critiqué. En réalité, Platon ne sépare jamais les deux aspects, mais éclaire leur relation.
Platon reste néanmoins un idéaliste dans le sens où il fait primer le monde intelligible sur le monde sensible. Les idéaux platoniciens correspondent aux valeurs universelles de perfection : le Beau, le Bien, le Vrai, le Juste, etc. On peut bien sûr critiquer cet idéalisme en ce qu’il peut créer un monde déconnecté, fondé sur des concepts abstraits. Pourtant, l’Histoire a montré que les idéaux peuvent changer le monde, nourrissant les progrès politiques et sociaux. Dans d’autres cas, de grands crimes ont été commis au nom de grandes idées…
Platon fonde sa philosophie sur les concepts qui divisent la réalité ; il procède par catégorisation, classification, en lien avec la géométrie et les mathématiques. Cette vision du monde, figée, normée, peine à saisir le véritable ressort de la matière et à éclairer le lien entre esprit et matière. Les philosophes sophistes ne cesseront de pointer cette faille.
Au final, la philosophie platonicienne pose la question de la véritable nature des concepts, des objets mathématiques et géométriques : existent-ils en eux-mêmes ? sont-ils l’expression de lois universelles intangibles ? sont-ils la clé de l’ordre et du sens ? ou sont-ils simplement des conventions humaines ?
Modif. le 10 octobre 2025