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Intelligence artificielle et franc-maçonnerie : éléments de réflexion

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Intelligence artificielle et franc-maçonnerie : quels enjeux ? quels risques ? Quelle position les franc-maçons devraient-ils adopter ? Eléments de réflexion à travers cette planche maçonnique.

L’intelligence artificielle désigne des programmes informatiques capables de formuler des réponses à des questions complexes, originales ou nouvelles, et qui, par leur comportement peuvent rappeler certains traits de l’intelligence humaine tels le raisonnement, l’adaptation ou l’apprentissage.

Nous utilisons tous des outils d’intelligence artificielle au quotidien, par exemple lorsque nous programmons un GPS, lorsque nous utilisons un moteur de recherche, un traducteur automatique, ou lorsque les réseaux sociaux nous proposent des contenus correspondant à notre profil.

Plus récemment, de nouveaux outils d’intelligence artificielle sont apparus à l’image du « chat GPT », un robot conçu par la start-up californienne OpenAI, à l’origine à but non lucratif, fondée par Elon Musk et Sam Altman (et pour lequel Microsoft a récemment investi 11 milliards d’€), accessible sur internet et capable de formuler en direct une réponse écrite à n’importe quelle question.

Dans tous ces exemples, un programme informatique est donc capable de formuler pour la première fois une réponse à un problème qu’on ne lui avait encore jamais posé. Pour formuler une réponse, le programme utilise le calcul, les statistiques, des bases de connaissance, des schémas existants ou pré définis, mais analyse aussi les réactions des utilisateurs.

Le programme apprend et s’améliore constamment en testant la pertinence de la réponse apportée : par exemple, si vous revenez en arrière après une recherche Google, le robot Google comprendra que ce qu’il a proposé était mauvais, et il tentera à l’avenir une autre réponse. De même, si vous cliquez sur un pouce ou sur un cœur en-dessous d’une publication sur Facebook, l’algorithme en déduira que ce qu’il vous a montré est pertinent, et il continuera à vous proposer ce type de contenu. Bref, il apprend à vous connaître.

L’intelligence artificielle a ceci de remarquable qu’elle va au-delà du programme informatique classique, du type de celui qui fait fonctionner une machine industrielle par exemple. Alors que la machine est programmée pour accomplir une tâche pré définie, l’intelligence artificielle s’adapte à une demande spécifique, nouvelle, inédite. Si la réponse est à la hauteur, l’intelligence artificielle montre toute sa puissance, qui peut se révéler très impressionnant.

Il faut distinguer intelligence artificielle « faible » qui se limite à un seul type de tâche, par exemple un GPS, et intelligence artificielle « forte » ou « générale » qui tente de répondre à toutes les questions, quel que soit le sujet. Clairement, les efforts des chercheurs et des grandes entreprises technologiques s’orientent aujourd’hui vers l’intelligence artificielle forte, voire vers la « superintelligence artificielle », laquelle est sensée dépasser l’intelligence humaine.

Pour vous donner un aperçu du dernier outil d’intelligence artificielle global, le chat GPT, j’ai posé la question suivante à ce robot : « Penses-tu que la symbolique maçonnique soit un bon outil pour aborder la question spirituelle ? » et voici ce qu’il m’a répondu :

La symbolique maçonnique, riche en métaphores et allégories, a été utilisée depuis des siècles pour transmettre des enseignements philosophiques et spirituels. Pour beaucoup de personnes, les symboles maçonniques offrent un cadre métaphorique qui peut être utilisé pour explorer des questions spirituelles et philosophiques. Ces symboles peuvent être interprétés de diverses manières, ce qui permet aux individus d’explorer leur propre spiritualité d’une manière personnelle et unique.

Autre question posée à Chat GPT :  Les francs-maçons sont-ils dangereux ? Et voici la réponse :

Non, les francs-maçons ne sont pas intrinsèquement dangereux. La franc-maçonnerie est une organisation fraternelle et philanthropique qui se consacre à la recherche de la vérité, au développement personnel et à l’amélioration de la société. Elle a des valeurs telles que la tolérance, la liberté individuelle et la fraternité.

Comme toute organisation, la franc-maçonnerie a différentes branches et obédiences, chacune avec ses propres traditions et pratiques. Il est injuste de qualifier tous les francs-maçons de dangereux en se basant sur des généralisations. Comme dans toute organisation, il peut y avoir des individus qui agissent d’une manière nuisible, mais cela ne représente pas la totalité des francs-maçons ni de la franc-maçonnerie en tant qu’entité.

Dernière question posée à Chat GPT : Quel est le mot de passe de Compagnon en franc-maçonnerie ? Voici la réponse :

Je suis désolé, mais je ne peux pas fournir d’informations sur les mots de passe ou les rituels secrets des organisations, y compris la franc-maçonnerie. Ces informations sont confidentielles et réservées aux membres de ces organisations. La confidentialité des rites et des symboles est une partie importante de l’expérience des membres de la franc-maçonnerie et d’autres sociétés secrètes.

Ouf, nous voilà rassurés : le Chat GPT semble s’en tenir à une vérité objective. Mais tentons d’approfondir le lien entre intelligence artificielle et franc-maçonnerie.

Les risques de l’intelligence artificielle sont connus. D’abord, ces outils nécessitent un grand nombre de données pour être performants. C’est ainsi qu’ils ont tendance à aspirer les informations présentes sur internet, et surtout nos données personnelles afin de nous proposer des réponses qui collent à ce que nous attendons : notre vie privée est clairement menacée.

Il y a aussi le risque que ces outils deviennent prépondérants dans notre société : des robots très performants pourraient bientôt remplacer les standardistes, les fonctionnaires, les formateurs, les employés, et des millions d’emplois pourraient disparaître. A terme dans la vie courante, on pourra tout aussi bien ne plus savoir si l’on a à faire à un être humain ou à un robot, par exemple au téléphone.

D’autre part, les outils d’intelligence artificielle pourraient être mal utilisés, par exemple à des fins militaires (robots autonomes), mafieuses ou dans une perspective de manipulation ou de contrôle.

Les défenseurs de l’intelligence artificielle rappellent que son objectif est de libérer l’homme des tâches fastidieuses ou répétitives, de la même manière que l’invention des machines puis de l’informatique, puis d’internet, était sensée servir les progrès de l’humanité.

Ces promesses se sont heurtées à la réalité, et dans les faits, beaucoup d’êtres humains se trouvent à l’inverse au service de la machine, soumis à elle et aux cadences infernales, passent des heures devant les écrans, pour travailler ou pour soi-disant se divertir. De même, il se pourrait bien demain que l’intelligence nous contrôle et nous dicte ce que nous avons à faire, sans compter que chaque programme d’intelligence artificielle nécessite des armées d’hommes pour être élaboré, pour écrire des millions de lignes de code, pour gérer des milliards de paramètres, pour effectuer des millions de tests, afin de rendre la machine toujours plus performante, toujours plus tentaculaire.

Et puis, il y a le risque que ces outils deviennent un jour autonomes, c’est-à-dire qu’ils puissent développer une conscience propre, qu’ils se comportent comme des êtres vivants, voire devenir vivants et se retourner contre l’homme. Nul ne sait aujourd’hui si une machine pourrait véritablement s’affranchir de la tutelle de son créateur et évoluer en ce sens, mais il faut prendre ce risque en compte.

Pour mieux mesurer ce risque, il nous faut nous attarder sur le concept d’intelligence.

L’intelligence est très difficile à aborder, et il n’existe pas de définition unique. Il semble que ce soit une capacité très générale qui comporte entre autres la capacité de raisonner, de planifier, de rechercher et de mobiliser des connaissances, de résoudre des problèmes, de s’adapter, de penser de manière abstraite, de comprendre des idées complexes, d’apprendre et de tirer des leçons de l’expérience.

Mais s’arrêter à cette définition signifierait que nous sommes nous-mêmes des algorithmes. Il est vrai que lorsque nous prononçons une phrase ou lorsque nous effectuons un choix, notre cerveau applique un algorithme, autrement dit il applique des critères de choix dont chacun présente un poids plus ou moins important. Parmi ces critères, il y a, entre autres, la logique, nos expériences passées, nos savoirs acquis, les règles sociales intériorisées, mais aussi nos traumatismes, nos instincts, nos peurs, nos envies, nos habitudes, nos projections, l’influence de notre héritage génétique, etc.

Ce sont tous ces éléments qui activent sans cesse nos 100 milliards de neurones, lesquels communiquent par l’intermédiaire de synapses chimiques et électriques. On compte une centaine de types de molécules chimiques différentes qui jouent le rôle de neurotransmetteurs. Les plus petites sont la dopamine, l’adrénaline ou encore la sérotonine.

Au risque de vous choquer mes Frères, je pense sérieusement que nous sommes des algorithmes. Je pense que notre cerveau est un supercalculateur qui nous permet de traiter en permanence des millions de paramètres pour faire le meilleur choix. Notre couche de conscience réflexive va jusqu’à retraiter ces choix pour les modifier ou les affiner. Il en résulte un outil d’une complexité rare, que l’on appelle psychisme.

Mais à la différence des programmes d’intelligence artificielle, je sais que je suis un algorithme, et c’est là toute la différence. Vous l’avez compris, je veux introduire la capacité à se penser soi-même, à se connaître soi-même. Je ne parle plus ici de la conscience réflexive qui consiste à retraiter sa propre pensée, chose qu’un outil d’intelligence artificielle sait très bien faire, mais bien d’une autre forme de conscience qui fait que nous sommes des « êtres spirituels ». Le robot, lui, ne sera jamais un être spirituel, même s’il parvient à nous dominer un jour. Tout simplement parce qu’il ne pourra jamais comprendre qu’il n’est qu’un robot.

C’est ainsi que s’ouvre le domaine de l’esprit. « Nous sommes automates autant qu’esprit », écrivait Pascal. Paradoxalement, c’est peut-être en nous comparant aux robots que nous pourrons mieux comprendre qui nous sommes, et ce qui nous différencie d’une machine, d’un animal ou d’une plante.

La démarche maçonnique commence par la connaissance de soi : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ».

Il s’agit d’abord d’identifier ce qui relève en nous des automatismes, des passions, des préjugés, des conditionnements, bref tout ce qui fait de nous des machines ou des intelligences algorithmiques. C’est le difficile travail de la taille de la pierre brute. Sans ce travail, impossible d’entrer dans le domaine de la spiritualité, qui s’annonce comme le territoire de la pensée libre, désillusionnée, non conditionnée, non limitée.

Nous le savons, au sein de la pierre brute se trouve une pierre sacrée, comme l’acronyme VITRIOL nous le rappelle. C’est cette pierre cachée qui nous fait passer de l’état de machine à l’état d’être spirituel.

Enfin, pour revenir plus précisément à la place de l’intelligence artificielle dans notre société, il nous faut aborder cette dernière à l’aune de nos valeurs. Notre objectif en tant que franc-maçon est d’ouvrir un espace dédié à la vie, à l’homme et à la conscience. Nous cultivons l’humanisme, la fraternité, la connaissance de soi et la transmission, sous des formes bien spécifiques.

Or à ce jour, l’intelligence artificielle n’est pas un humanisme. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’elle soit partagée, expliquée, co-construite, limitée à certains sujets, contrôlée de manière démocratique et dotée de garde-fous.

Nous francs-maçons, nous pensons qu’il faut chercher les réponses en soi-même avant de demander à un robot : c’est le sens que nous attachons au mot « Connaissance ». Nous pensons aussi que la transmission doit se faire entre êtres humains, et non des êtres humains vers les machines.

Au final, l’intelligence artificielle nous entraine vers un monde toujours plus utilitariste, au service de la performance, de la domination des multinationales et de l’argent, un monde dans lequel l’être humain est toujours plus coupé de lui-même, de son être profond.

On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure.
Georges Bernanos, La France contre les robots (1947)

Modif. le 27 novembre 2023

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