Le sacré : planche maçonnique. Comment distinguer le sacré du profane ? Comment se manifeste le sacré ? Voici une planche au 1er degré R.E.A.A.
L’expression « sacré » peut s’appliquer à des valeurs, lieux, objets et même à des personnes. Par exemple, un objet peut être perçu comme sacré par le souvenir ou l’émotion qu’il procure. Cette appréciation est propre à chacun.
Il y a aussi le sacré qui s’impose à nous et que nous n’avons pas choisi. C’est une émotion imprévisible, quelque chose qui s’impose à nous, un sentiment de transcendance que l’on peut éprouver en arpentant un site néolithique, la crypte d’une église, un site naturel ou encore lors d’une tenue maçonnique.
Dès lors, comment définir le sacré ? Il peut s’agir de la sensation d’être en présence de quelque chose de plus grand que soi.
Ce sentiment dépasse à l’évidence le domaine du matériel et la compréhension ordinaire ; il relève d’une réalité spirituelle.
On peut aussi le ressentir face à une œuvre d’art qui entre en résonance avec notre être profond, qui semble vouloir nous connecter à un principe supérieur. Cette perception est peut-être une facette du Soi.
Ce sentiment semble étroitement lié à l’histoire de l’humanité. Les peuples premiers devaient ressentir à la fois fascination et crainte devant la puissance des éléments naturels, et chacune de leurs manifestations revêtait sans doute un caractère sacré.
Tentons de définir plus précisément le sacré.
Le sacré et le « numineux »
Rudolf Otto, théologien et philosophe allemand, est l’un des premiers (en 1916 dans son ouvrage Le Sacré) à qualifier le sentiment que nous venons de décrire : il le nomme « numineux ». C’est à la fois un sentiment de fascination et d’effroi face à une puissance transcendante, un sentiment de présence absolue.
Pour Rudolf Otto, ce phénomène repose sur un sentiment qui n’est pas directement lié à la notion de divinité mais qu’il qualifie plutôt de mystère ; une expérience d’émerveillement et de crainte face à la beauté du monde.
Cet état affectif, ce sentiment diffus qu’a la conscience d’être conditionnée par quelque chose qui ne dépend pas d’elle, qui est indépendant de sa volonté et qui ne se laisse pas appréhender comme une chose visible, est justement le sentiment du numineux, une expérience personnelle et émotionnelle du sacré.
Carl Gustav Jung, à travers ses recherches en psychologie et psychiatrie, qualifie l’être humain d’homo religiosus : « être religieux ». Et il insiste sur son besoin d’expérience intérieure qui se fonde sur le sentiment religieux. Selon lui, la quête de spiritualité est une caractéristique fondamentale de la psyché humaine.
Nous savons que le domaine du sacré était omniprésent dans les religions anciennes. Le sacré était considéré comme la source de la vie, et le profane le milieu où elle se développe.
Les premières manifestations du phénomène religieux peuvent être résumées en cinq points :
- la croyance en une (ou des) entité(s) supérieure(s),
- des mythes fondateurs,
- une distinction entre profane et sacré,
- des rites,
- des lois et des codes moraux.
Des règles strictes entourent l’accès à certains lieux, l’utilisation d’objets ou la participation aux rituels.
Ces cinq points se retrouvent dans la tradition maçonnique et les rituels…
Religion et sacré
La notion de sacré est au cœur de la pratique religieuse. Textes sacrés, lieux de culte, objets rituels et pratiques spirituelles sont perçus comme des manifestations du sacré.
Pourtant, cela ne veut pas dire qu’un croyant percevra le sacré partout où il devrait normalement le percevoir.
Par ailleurs, le sacré n’est pas forcément religieux. Bien sûr, il y a du sacré dans la religion mais celle-ci est avant tout une organisation du sacré à travers des dogmes et des rites.
Il convient alors de distinguer religion et spiritualité. Le sacré transcende la pensée religieuse, il est une relation directe et intime de l’individu en quête du principe supérieur.
La notion d’espace sacré
Dans le monde profane, l’espace est perçu comme homogène. A contrario, pour l’être religieux ou spirituel, le sacré fait irruption et se différencie qualitativement au sein de l’environnement.
L’espace n’est alors plus perçu comme homogène : il y a une rupture réelle entre deux univers.
Le sacré en franc-maçonnerie : l’ouverture des travaux
Au R.E.A.A., le Grand Architecte de l’Univers, symbolisé par le Delta rayonnant, est l’expression de l’ultime réalité : une porte ouverte sur les vérités spirituelles, la plus haute expression du sacré.
La première fonction du rituel d’ouverture des travaux est de sacraliser le lieu, en l’occurrence le chantier de construction du Temple. Celui-ci va passer d’un état profane, simple bâtiment non achevé, à un état d’édifice toujours plus avancé, toujours plus sacré. Le rituel invite à un effort d’ouverture de la conscience : c’est un appel à l’extension du domaine du sacré en nous.
Après s’être assuré que le lieu est à l’abri des profanes, le V.M. fait procéder à une suite de constructions symboliques :
- les trois piliers (Sagesse, Force et Beauté) sont allumés,
- les Trois Grandes Lumières sont ouvertes sur l’autel des serments,
- enfin, le tableau de loge est tracé par le F. Expert.
Le franc-maçon peut alors éprouver le sentiment de s’élever, de passer d’un état vulgaire à une dimension spirituelle, laquelle est partagée par les autres assistants. Sagesse, Force et Beauté, peu à peu, s’imposent.
Mais pour parvenir à cet état, il aura fallu laisser le métal, le mental à la porte du Temple. Ce qui se déroule alors relève moins du rationnel que de l’émotion vécue. Mais le rationnel ne disparaît pas pour autant ; quant à l’émotion, elle n’est pas ici synonyme de « passion ».
Il reste encore à orienter le Temple, ce qui sera fait par les échanges entre le V.M. et les Surveillants. Progressivement, l’espace sacré se constitue. Le fil à plomb, suspendu à l’étoile polaire, complètera l’orientation verticale du zénith au nadir. Au coeur du chaos, le Temple est devenu le point de référence absolu, le centre du monde. La voûte étoilée s’ouvre sur l’univers et adopte une dimension cosmique.
Après la définition de cet espace sacré, reste à basculer dans un temps lui-aussi sacré. Les travaux vont s’ouvrir à midi, heure de la plus haute Lumière, et se poursuivront jusqu’à minuit. C’est le cycle complet du jour symbolique, de son zénith à son nadir.
Ce temps sacré intemporel est une sorte d’éternel présent : midi et minuit sont en effet l’expression d’une même réalité vue sous deux angles différents. En effet, l’étoile éternelle sur le plateau du V.M. brille sans discontinuer, insensible aux contingences profanes.
Après cet espace sacré défini, ce temps sacré établi, vient enfin le moment d’ouvrir les travaux. Le V.M. invoque le G.A.D.L.U. puis, après le signe, la batterie et l’acclamation déclare : « Mes Frères, nous ne sommes plus dans le monde profane… »
Sommes-nous pour autant dans le monde sacré ? Le rituel ne le précise pas. En effet, la perception du sacré est fondamentalement personnelle et intime, elle ne se décrète pas. Le V.M. ne peut donc affirmer le caractère sacré de ce qui va suivre, car il va dépendre de la perception individuelle de chacun.
A chacun donc, de tenter de changer de dimension. Cela suppose de se rendre disponible à la manifestation du sacré. A chacun de s’ouvrir au numineux, s’il le peut, s’il est en condition.
Il faut bien l’avouer, le franc-maçon peut vivre des tenues dans lesquelles le sacré ne se manifeste pas, du moins de son point de vue. Il peut aussi vivre des instants de grâce au coeur d’une tenue.
Certains passages du rituel, tels la chaîne d’union, sont peut-être plus propices que d’autres à la manifestation du sacré. On ressent alors une connexion aux autres, à leur parole, une sorte de communion, ou encore un égrégore.
Le sacré : réenchanter le monde
Historiquement, nous sommes passés de l’être religieux des sociétés antiques au siècle des Lumières où le profane s’est affirmé. Puis le rationalisme scientifique s’est imposé face à la notion de spiritualité.
Le monde profane s’est progressivement nourri de la désacralisation du vivant. La situation dégradée de notre planète en est le résultat.
Dans ce contexte, le franc-maçon a un rôle à jouer pour resacraliser la Nature et la vie. Les éléments qui nous entourent (et qui nous constituent) ne doivent plus être simplement vus comme des ressources à exploiter. Il est urgent de réapprendre à regarder, sentir, goûter, toucher, vénérer la beauté du monde : c’est la voie du sacré, la voie maçonnique.
Au final, la voie du sacré est celle du développement de la conscience humaine vers les plus hautes réalités. Il s’agit de réalités invisibles et pourtant omniprésentes, que nous devons apprendre à « capter ».
Pour aller plus loin :
Modif. le 1 juillet 2025