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Les philosophes présocratiques et leur pensée

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Qu’est-ce que la philosophie présocratique ? Quel est l’apport des philosophes présocratiques ? Comment la philosophie grecque est-elle née ?

La philosophie présocratique correspond à la première grande étape de la pensée philosophique grecque, avant Socrate (469-399 avant J-C), même si certains présocratiques étaient en réalité contemporains de Socrate.

Cette philosophie ne forme pas un système unique, mais plutôt un ensemble de recherches sur l’origine du monde et les principes fondamentaux de la réalité.

Ces penseurs ont marqué une rupture avec les explications mythologiques traditionnelles du monde en cherchant à comprendre la Nature (la phusis) à travers la raison et l’observation. Autrement dit, le mythe (mythos) cède la place à la raison (logos) : la pensée se veut plus pure, plus universelle aussi.

Les présocratiques se posent notamment les questions suivantes :

  • quelle est l’origine (arché) des choses et des phénomènes ?
  • comment expliquer la diversité et le changement dans le monde ?
  • quelle est la place de l’Homme dans le cosmos ?

Le présocratisme a ouvert la voie à la métaphysique, à l’ontologie, mai aussi à la physique et à la cosmologie. Il a posé les bases de la distinction entre opinion (doxa) et savoir (épistémè). Socrate, puis Platon et Aristote, s’inscriront dans cette lignée, tout en la dépassant et en orientant la réflexion vers l’éthique et la politique.

Nous allons voir que les présocratiques ne sont donc pas seulement des « précurseurs » : ils sont les véritables fondateurs de la rationalité occidentale.

Tentons d’aborder la pensée présocratique.

chronologie philosophie présocratique

La chronologie ci-dessus présente les philosophes présocratiques en orange, et les philosophes dits classiques en jaune.

Les présocratiques peuvent se répartir en deux grands groupes : ceux qui se consacrent aux études physiques (écoles ioniennes), et ceux qui s’intéressent à la spéculation métaphysique sur l’être et le mouvement (écoles d’Italie).

Cependant, ces deux aspirations ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

carte philosophie grecque antique
Les villes de la philosophie grecque présocratique (la Grèce et ses colonies)

La philosophie ionienne est ainsi appelée du nom de l’Ionie (actuelle région d’Izmir, en Turquie), dont la capitale était Milet (on parle aussi d’école milésienne, dont le fondateur est Thalès).

Cette école désigne un ensemble de courants de pensée marqués par un même esprit, tournés vers une tentative de compréhension des principes de la Nature.

Ces philosophes de la Nature, aussi appelés « physiologues », cherchent notamment à savoir quelle est l’origine ou le principe (arché) de toute chose, et quelle est la matière constitutive de l’univers. Ils s’appuient pour cela sur la raison plus que sur les mythes, même si les mythes n’ont pas totalement disparu de leurs références.

Pour la plupart de ces philosophes, la Nature ne procède pas d’une cause exogène ou divine, mais d’une cause immanente douée d’intelligence. « Dieu » (ou le Principe) se trouve dans la Nature ; on va même jusqu’à l’assimiler à la Nature.

Voici les philosophes ioniens les plus célèbres :

  • Thalès. Le célèbre fondateur de l’école milésienne est considéré comme l’inventeur de la « philosophie de la Nature », de la physique et de l’astronomie. Pour lui, l’eau est le principe de toute chose, cet élément devant être abordé sur le plan physique et métaphysique. Selon Thalès, l’eau étant présente dans tous les êtres vivants, c’est elle qui donne naissance aux autres éléments, par évaporation ou condensation. Pour Thalès, le monde est un et l’univers a une âme.
  • Anaximène. Pour Anaximène, l’air est la substance fondamentale, le principe de toute chose.
  • Anaximandre. Anaximandre parle de l’apeiron (l’illimité, l’indéfini) comme le principe éternel et indestructible. Ce principe ne possède pas de qualité spécifique.

Ces penseurs sont aussi des observateurs et des expérimentateurs. Ils se livrent régulièrement à des démonstrations. Anaximandre aurait inventé le gnomon, Thalès aurait réussi à calculer la hauteur de la grande pyramide de Khéops grâce à son fameux théorème. Tous tentent d’expliquer les phénomènes atmosphériques et astronomiques. Thalès décrit les eclipses, les équinoxes et les solstices.

Enfin, les philosophes ioniens développent les mathématiques et la géométrie en tant que méthodes d’analyse du réel.

Héraclite peut être rattaché aux Ioniens (Ephèse est en effet une ville d’Ionie), bien que plus tardif. Il est l’auteur du traité Sur la nature, qui influencera durablement la philosophie.

Héraclite met l’accent sur le devenir : « tout s’écoule » (panta rhei).

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Héraclite

Pour Héraclite, rien n’est plutôt ceci que cela, mais tout le devient. Tout ce qui est relatif tombe alors dans l’absolu, dans l’unité, dans l’ordre cosmique. Autrement dit, tout est tout : l’impermanence est permanente, tous les opposés sont complémentaires voire équivalents.

Mariages : le tout et le non-tout, le convergent et le divergent, l’assonant et le dissonant, de toutes choses l’un et de l’un toutes choses.
Héraclite

Cette approche rappelle beaucoup les philosophies orientales, notamment le bouddhisme (principe d’impermanence) et le taoïsme (principe de complémentarité entre les énergies contraires, yin et yang).

D’autre part, Héraclite développe une cosmogonie selon laquelle le feu symbolise le principe de transformation permanente : le feu nourrit les cycles, il détruit pour alimenter le principe du retour éternel. Il représente la raison, il est le moteur de l’univers.

Enfin, Héraclite insiste sur l’importance de la raison (le logos) pour vaincre ses illusions.

Pythagore, grand nom de la philosophie présocratique, est connu pour avoir fondé en 532 à Crotone (Italie du Sud) une école particulièrement influente sous la forme d’une confrérie philosophique, scientifique, politique et religieuse. Cette confrérie est organisée en un ensemble de degrés initiatiques et hiérarchiques, des postulants au mathématiciens, en passant par les néophytes et les acousmaticiens.

La doctrine pythagoricienne est principalement basée sur le concept d’harmonie cosmique, dont la compréhension doit permettre d’atteindre l’immortalité. Le but est d’alléger l’homme du poids de sa matière, de l’épurer et l’élever vers la vérité.

Le pythagorisme repose sur l’idée que le cosmos, en perpétuelle transformation, est un ensemble harmonieux de différences : il est perfection. L’homme doit connaître les lois de la nature pour se rapprocher de Dieu et réaliser qu’il est fait de la substance divine.

« Suis Dieu » est la devise du pythagorisme, le signe de reconnaissance de la confrérie étant le pentagramme.

Par ailleurs, Pythagore soutient que le cosmos est fondé sur les nombres et la géométrie. Il bâtit d’ailleurs un système d’équivalences entre mathématique, géométrie, musique, astronomie, médecine, biologie et philosophie. A ce titre, la doctrine pythagoricienne peut être qualifiée d’arithmologie, terme qui désigne l’étude symbolique et ésotérique des nombres.

Pythagore aborde la géométrie comme le monde de la raison et des idées vraies, thèse que Platon reprendra à son compte.

Enfin, Pythagore croit en la transmutation des âmes (métempsychose). Il considère que le corps est le tombeau et la prison de l’âme.

L’école éléatique (du nom de la ville d’Élée, dans le sud de l’Italie) est fondée par Xénophane de Colophon vers 540 avant JC. Élée était une colonie ionique où Xénophane s’était exilé.

L’école éléatique est l’une des écoles présocratiques qui ont le plus profondément marqué la philosophie en général et la métaphysique en particulier, notamment à travers la notion d’Être.

Les Éléates rejettent les sens et l’expérience qui mènent selon eux à l’opinion confuse et à l’illusion du changement. Ils s’opposent en cela à Héraclite. Ils rejettent les apparences et s’appuient sur la raison et la logique.

Xénophane, le fondateur, critique Homère, Thalès et Pythagore. Il se livre en outre à une satire des croyances polythéistes et recommande de croire en une divinité unique, non humaine, lien entre tous les phénomènes de l’univers. Ce Dieu immobile est toute intelligence, mais il reste inconnaissable, l’homme commun évoluant dans le monde des apparences et de l’opinion (doxa).

Parmi ses continuateurs, Parménide d’Élée peut être vu comme le fondateur de l’ontologie. Il défend lui-aussi l’idée d’un Être immuable, le changement relevant de l’illusion. Il juge que cet Être est continu, fini et sphérique.

L’Être est, et le non-Être n’est pas.
Parménide

Un autre Éléate est Zénon, auteur de certains paradoxes qui ont pour but de défendre l’idée d’immobilité de l’Être. On le présente comme l’inventeur de la dialectique.

Par ailleurs, Empédocle d’Agrigente affirme que le monde est soutenu par deux principes opposés : l’amour et la haine, c’est-à-dire l’union et la séparation.

Enfin, le dernier représentant de l’école éléatique, Mélissos, décrit l’Etre comme ce qui est pleinement : il est immuable, immobile, infini (à la différence de Parménide qui le croit fini et sphérique), éternel, unitaire. Ses attributs sont nécessaires et inévitables : ce ne peut être autrement. Enfin, pour Mélissos, l’Être n’est pas une réalité physique mais une réalité accessible uniquement par l’esprit ; par ailleurs, il ne peut y avoir de connaissance parfaite de la divinité.

Tout est un, et cet un ne sort pas de lui-même, repose en son propre sein, n’ayant pas d’espace où il puisse se mouvoir.
Mélissos

Au final, les Éléates ouvrent le chemin de la connaissance de l’Être. Pour eux, l’univers peut être associé à Dieu, absolu et éternel : l’école éléatique est un monothéisme très avancé, et par là même, un universalisme.

Empédocle, qui peut être rattaché à l’école éléatique autant qu’aux pythagoriciens ou à Héraclite, est un philosophe qui développe une pensée originale et profonde, fondée sur l’idée de deux principes qui règnent sur l’univers : l’Amour qui rend le Tout cohérent, et la Haine qui produit la différenciation.

Selon Empédocle, l’Amour et la Haine règnent par cycles successifs sur les quatre éléments qui composent la matière (l’eau, la terre, le feu et l’air) et qui par conséquent s’unissent et se séparent.

Les quatre éléments sont donc les principes de base, les « racines » qui se combinent ou se séparent en proportions diverses pour créer toute chose, ce qui peut se rapprocher de la théorie des nombres des pythagoriciens. Cette théorie nourrira aussi l’alchimie spirituelle.

Empédocle pratique à la fois la physique et la métaphysique : il s’intéresse autant à la matière qu’à son principe. S’intéressant à la chimie du vivant, il se veut médecin. Il croit en la transmigration des âmes et prône le végétarisme, à l’instar des pythagoriciens.

Enfin, pour Empédocle, le monde ne peut avoir été créé : il existe de toute éternité.

Né en Ionie, Anaxagore est un disciple d’Anaximène. Il hérite de la pensée ionienne et devient l’un des plus grands penseurs présocratiques, même s’il est en réalité un contemporain de Socrate. Etabli à Athènes, il développe une cosmogonie où toutes les choses qui sont, le sont de toute éternité, et se combinent ou se séparent sans fin, ce qui rappelle la célèbre formule de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau.
Anaxagore

Toute chose possède une portion de toute chose.
Anaxagore

D’autre part, pour Anaxagore, c’est le Noûs (l’Esprit universel, l’intellect) qui introduit ordre et raison dans la matière : c’est le grand principe ordonnateur, la cause motrice, la source de Connaissance et de volonté. Anaxagore décrit le Noûs comme une substance matérielle très subtile.

L’Intellect, maître absolu, n’est mélangé à aucune chose car il existe seul et par lui-même. Toutes les choses qui ont une âme sont toutes sous l’empire de l’Intellect.
Anaxagore

Anaxagore est un rationaliste éclairé qui accorde beaucoup d’importance à la géométrie et aux mathématiques. Il tente de résoudre le problème de la quadrature du cercle. Il s’intéresse aussi à l’astronomie (il explique les phases de la Lune) et à la biologie.

Contemplatif, il prône une vie juste et simple. Il ne s’intéresse pas à la politique.

Né à Abdère en Thrace, l’atomisme est un courant de la philosophie présocratique qui affirme que la matière est composée d’éléments indivisibles : des atomes en mouvement dans le vide. L’univers serait ainsi discontinu, composé de matière et de vide. Les choses se différencient par une combinaison des atomes et de leurs qualités.

Parmi les principaux atomistes, Leucippe et Démocrite s’opposent à l’idée très répandue à l’époque, selon laquelle la matière serait composée des quatre éléments (feu, air, terre et eau, tous baignant dans l’éther). Il faudra attendre le XIXe siècle pour comprendre que la matière est effectivement constituée d’atomes. On pourrait dire que les atomistes sont les fondateurs de la science moderne.

La thèse atomiste est matérialiste et mécaniste : même l’âme serait constituée d’atomes, en l’occurrence des atomes d’air. Pour les atomistes, les sensations et les perceptions sont fausses : les phénomènes observables sont des interprétations humaines qui n’expriment pas la vérité de la matière.

Derniers représentants de la philosophie présocratique, les sophistes étaient des penseurs itinérants qui enseignaient l’art de la rhétorique et de la persuasion dans la démocratie athénienne. Leur philosophie reposait sur le relativisme : pour Protagoras, « l’homme est la mesure de toute chose », la vérité dépend de chacun. Gorgias va jusqu’à nier la possibilité d’atteindre une vérité absolue.

Les sophistes privilégient le langage et les techniques argumentatives, formant les citoyens à défendre n’importe quelle thèse, souvent contre honoraires. Critiquant les traditions et les lois (qu’ils voient comme des conventions, nomos), ils s’opposent aux autres présocratiques, centrés sur la Nature, et à Socrate, qui les accuse de manipuler les mots sans chercher la vérité.

Les sophistes ont laissé une pensée sceptique, réaliste et pragmatique.

Pour la première fois, les présocratiques tentent d’expliquer le monde par la raison, et non par les mythes. Parmi ces philosophes, certains font confiance à l’observation par les sens, alors que d’autres préfèrent la raison pure.

Tous développent une approche du cosmos comme un Tout ordonné, même si ce Tout est sujet à transformation. Ce mouvement pose le débat sur l’Etre et le devenir. Héraclite soutient que les choses naissent ex-nihilo : l’être surgit du non-être. D’autres philosophes, au contraire, affirment que rien ne saurait émerger du néant : toute la matière est déjà créée, elle ne fait que se recomposer.

A ce stade, rares sont les présocratiques qui parviennent à concilier être et non-être, absolu et éphémère, à l’exception peut-être d’Anaxagore. Au même moment, Lao-Tseu et les taoïstes combinent les deux notions.

Etre et non-être se créent l’un l’autre.
Tao Te King, 2

L’univers abordé comme un Tout ordonné pose aussi la question du Principe qui sous-tend cet ordre, et de son intention. Principe immanent ou transcendant ? La question de Dieu et de sa nature est clairement posée. Sur ce point, les présocratiques, en tant que scientifiques de la Nature, voient en « dieu » l’intelligence de la Nature. Dieu est immanent, présent en toute chose.

Au final, les présocratiques ont largement influencé la philosophie occidentale : Platon et Aristote s’appuieront largement sur leurs idées pour développer leur métaphysique. La science moderne leur doit l’idée d’un univers régi par des lois naturelles. La philosophie contemporaine y voit les prémices de la pensée critique et scientifique.

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Modif. le 16 octobre 2025

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