Vengeance et Justice aux 9ème et 10ème degré R.E.A.A. : comment interpréter la différence de châtiment entre le premier et les deux autres mauvais compagnons ? Voici une planche maçonnique en accès libre.
Il existe une différence importante entre le châtiment du premier mauvais compagnon au 9ème degré et celui des deux autres mauvais compagnons au 10ème degré : le premier est tué par vengeance, les deux autres par décision de Salomon. Comment expliquer cela ?
Avant toute chose, rappelons l’identité des trois mauvais compagnons :
- Jubulum Akyrop (dit « Abiram »), tué dans la caverne par Johaben, est celui qui avait porté le dernier coup, fatal à Maître Hiram, avec un maillet, à la porte d’Orient. Il représente l’ambition,
- les deux autres, châtiés par décision de Salomon, sont :
- Jubella Guibs (dit « Sterkin »), qui avait frappé Hiram à la porte du Midi avec une règle de 24 pouces (ou un fil à plomb selon le rituel du troisième degré). Il représente l’ignorance,
- Jubello Gravelot (dit « Oterfut »), qui l’avait frappé à la porte d’Occident avec une équerre (ou un niveau selon le rituel du troisième degré). Il représente le fanatisme.
Ainsi, le premier (Abiram) est exécuté par Johaben dans la caverne, dans un élan de vengeance pure ; est-ce parce qu’il avait porté le coup fatal à Hiram ? Les deux suivants font l’objet d’un châtiment décidé par Salomon, dans la logique d’une justice plus institutionnalisée ; est-ce parce que leurs coups n’avaient pas mortels ?
Par ailleurs, on notera une inversion dans l’ordre des châtiments par rapport à l’ordre des coups portés à Hiram : Abiram est le premier à être sanctionné alors qu’il avait été le dernier à frapper le Maître…
Tentons de démêler tous ces points.
Vengeance et Justice : la nature du châtiment des mauvais compagnons
Rappelons le passage concerné au 9ème degré :
À la lumière d’une lampe qui brûlait à l’intérieur, Johaben vit le meurtrier se reposant, couché sur le dos, un poignard à ses pieds. Oubliant les instructions de Salomon, Johaben se saisit du poignard et frappa au front, puis au cœur le meurtrier. Celui-ci se redressa brusquement, mais s’écroula mort aux pieds de Johaben, après avoir prononcé le mot NEKAM. Johaben lui coupa la tête et étancha sa soif à la fontaine qui coulait dans la caverne.
Citons maintenant le passage concerné au 10ème degré :
Les deux assassins furent enchainés l’un à l’autre, chargés de fers sur lesquels on grava l’énoncé de leurs crimes et les genres de châtiment qui leur étaient réservés.
Ils arrivèrent à Jérusalem le quinzième jour du mois suivant. Ils furent conduits devant Salomon qui leur reprocha leur crime odieux, ordonna qu’ils soient enfermés dans la Tour d’Achizar jusqu’au jour où ils devaient être exécutés dans les tourments les plus atroces en proportion de leurs forfaits. Un matin, à la dixième heure, ils furent attachés à deux pieux par le cou, la ceinture et les pieds, les bras liés derrière le dos. Le bourreau les ouvrit depuis la poitrine jusqu’ à l’os du pubis. Ils demeurèrent ainsi pendant huit heures, les mouches et les insectes venant se repaître de leurs entrailles. Leurs gémissements et leurs plaintes étaient si pitoyables qu’ils touchèrent le cœur même du bourreau qui leur coupa la tête et jeta leur corps par-dessus les murailles de Jérusalem pour servir de pâture aux corbeaux et aux bêtes sauvages.
Ici, on peut s’étonner de la souffrance endurée par les deux derniers compagnons, bien plus marquée que pour Abiram, alors même que ce dernier est le véritable meurtrier d’Hiram, et le plus ambitieux des trois. En effet, Abiram « bénéficie » d’une vengeance expéditive : frappé à la tête et au coeur, il n’a même pas le temps de réaliser ce qui lui arrive. Il ne subit pas l’attente de son exécution, il ne subit par le supplice de l’éventration, il ne souffre pas. Il n’a même pas le temps de réfléchir à son geste : il n’aura pas à se remettre en cause.
Ici, le paradoxe saute aux yeux : la vengeance est douce, alors que la justice est impitoyable. Cela ne devrait-il pas être l’inverse ? Voilà un véritable déséquilibre. Rappelons-le, cette disharmonie est totalement imputable à l’empressement de Johaben, qui provoque d’ailleurs la colère de Salomon. Sans cette précipitation, le châtiment aurait certainement été le même pour les trois traitres.
Interprétation
Le mythe d’Hiram, pour être compris, doit être abordé sur le plan intérieur. En ce sens, Johaben et Salomon représentent différents aspects du psychisme humain en lutte contre ses mauvais penchants.
A ce titre, la vengeance menée par Johaben représente la lutte de l’ego contre lui-même : c’est l’ambition qui s’attaque à l’ambition. Autrement dit, nous sommes dans l’illusion d’une guérison qui passerait par la victoire de la maladie elle-même… Ici, il n’y a pas de progrès, pas de prise de conscience, pas de remise en cause.
Au contraire, la justice imposée par Salomon représente la conscience capable de se détacher de la matière humaine : il y a recul, auto-évaluation, analyse, remise en cause, plongée en nous-même, dans la profondeur de nos entrailles. Tout cela nous permet de changer, de nous transformer. Juger, c’est comprendre, c’est chercher en dedans, de la même manière qu’un juge de cour d’assises demandera à un psychologue d’analyser la personnalité de l’accusé.
A l’inverse, Johaben, en faisant preuve d’empressement envers Abiram, a occulté toute possibilité de justice, c’est-à-dire de compréhension des ressorts de sa propre ambition : il est passé à côté de l’essentiel. Ainsi, le mal reste en nous. Seuls l’ignorance et le fanatisme ont reçu un « traitement » adapté.
La cruauté du châtiment décidé par Salomon
Le châtiment décidé par Salomon est particulièrement cruel. Mais il faut le mettre en parallèle des serments prêtés aux trois premiers degrés :
- Premier degré : Je jure solennellement tout cela sans évasion, équivoque ou réserve mentale d’aucune sorte, sous peine, si je devais y manquer, d’avoir la langue arrachée et la gorge coupée, et d’être jugé comme un individu dépourvu de toute valeur morale et indigne d’appartenir la Franc-Maçonnerie.
- Deuxième degré : Je jure d’observer tout cela sans équivoque ou réserves mentales d’aucune sorte, sous peine, si je manquais à ces engagements, de m’arracher le cœur de la poitrine et le jeter aux rapaces de l’air ou aux voraces des champs, comme une proie, et de disparaître de la mémoire de mes Frères.
- Troisième degré : Si je manquais à ce Serment solennel, que mon corps puisse être coupé en deux parties, mes entrailles arrachées et brûlées et les cendres dispersées aux quatre points cardinaux, afin qu’il ne reste aucune trace parmi les humains et en particulier parmi les Francs-Maçons, d’un homme aussi méprisable !
Que serait un serment si les avertissements qu’il comporte n’étaient pas suivis d’effets ? Il est facile de s’engager oralement à mener une vie exemplaire, mais plus difficile de s’y tenir. Les bonnes intentions se heurtent parfois à la réalité ; or c’est dans l’adversité que l’on se révèle juste ou injuste envers soi-même.
La sévérité du châtiment décidé par Salomon représente un juste rapport à nous-même : nous reconnaissons que nous avons, l’espace d’un instant, renoncé à nos valeurs et à nos engagements. Nous avons été faibles, et nous déclarons en conscience que nous méprisons cette partie impure de nous-même.
Voilà la nature de la justice que nous devons nous imposer, et qui consiste d’abord à reconnaître nos propres erreurs…
La décapitation
Malgré les différences de châtiment, les trois mauvais compagnons présentent au moins un point commun dans leur fin : ils sont décapités, par Johaben dans le premier cas, par le bourreau dans les autres cas.
Ici, la présence du bourreau renvoie à une décision de justice dont l’application est déléguée à un tiers totalement étranger au conflit. Le bourreau ne fait qu’exécuter ce qui a été décidé en haut lieu, signe d’objectivité et d’impartialité.
Quant à Johaben, il rapporte la tête d’Abiram à Salomon, signe que, malgré ses déviances, une part de lui reste soumise aux ordres du Roi.
Dans tous les cas, la décapitation peut être interprétée comme la volonté d’évacuer un psychisme dérangé, trop attaché au Corps.
Conclusion
En tant que francs-maçons, nous tentons de faire régner la raison et la sagesse en notre for intérieur, instances représentées par Salomon. Mais notre ego (représenté par Johaben) s’infiltre partout, tentant de faire croire qu’il peut s’auto-réguler sans être soumis aux instances supérieures. Toujours prêt à désobéir, notre ego nous manipule : il est le véritable traitre.
Lorsqu’il pénètre dans la caverne, Johaben fait face à lui-même. Par ambition, il tente de terrasser l’ambition. Résultat, la justice ne passe pas : le remède a échoué. Faut-il en conclure qu’Abiram court toujours ? Peut-être, mais son double Johaben ne fuit pas : il ose retourner devant Salomon. Ce dernier le juge, le condamne à mort avant de lui pardonner. Dans ce laps de temps, Johaben aura certainement pu procéder à son auto-critique…
Lire aussi : Le supplice des mauvais compagnons : planche au 10ème degré

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Modif. le 19 novembre 2025






