Quel est le rapport entre esprit et matière ? La conscience pourrait-elle précéder la matière ? Quelle est la nature de nos perceptions ? Le point sur les recherches scientifiques à ce sujet.
Le rapport entre esprit et matière constitue une question philosophique fondamentale, qui fait l’objet de différentes théories depuis l’Antiquité. On pourrait classer ces théories en quatre grands courants :
- la vision dualiste oppose le monde physique au monde des idées (Platon, Descartes),
- la vision moniste affirme que l’esprit et la matière constituent la même réalité (Spinoza),
- la vision matérialiste affirme que l’esprit et la conscience sont issus de la matière,
- enfin, la vision idéaliste soutient que tout est pensée et esprit. C’est par exemple l’immatérialisme de Berkeley, qui affirme la non-existence de la matière.
La question intéresse aussi les scientifiques. Longtemps, ces derniers ont adopté une vision matérialiste selon laquelle la matière constituerait le support de toute conscience. Le système neuronal serait en particulier le socle de la pensée. Dans cette perspective, l’esprit serait réduit à un simple épiphénomène de la matière.
Mais récemment, des chercheurs ont remis en cause ce consensus. C’est le cas de Maria Stromme, physicienne norvégienne rattachée à l’Université d’Uppsala (Suède), qui a dévoilé en novembre 2025 un article scientifique dans lequel elle soutient l’idée que la conscience précède la matière, en présentant des preuves mathématiques. Selon elle, le temps, l’espace et les phénomènes physiques ne seraient que des manifestations secondaires d’un champ de conscience fondamental.
Voyons en quoi l’esprit pourrait précéder la matière.
L’esprit précède-t-il la matière ?
Selon la scientifique Maria Stromme, la matière doit être abordée comme un certain niveau d’interprétation de la réalité, c’est-à-dire une certaine représentation du monde.
La réalité profonde, quant à elle, serait celle d’un vaste champ de conscience auquel le cerveau humain n’aurait qu’un accès limité. Du fait de nos limites perceptives et cognitives, nous percevrions la plupart des choses comme séparées : c’est ainsi que naît l’illusion de la matière.
Autrement dit, la matière apparaît lorsqu’on ne perçoit pas (ou insuffisamment) les liens entre les choses, lorsqu’on oublie que tout est lié.
Conscience, énergie et physique quantique
Le développement de la physique quantique avait déjà permis de comprendre que la réalité ne se fonde pas sur des particules élémentaires isolées, mais sur des manifestations ondulaires d’un tout indivisible.
Erwin Schrödinger (1887-1961), l’un des fondateurs de la mécanique quantique, en avait déduit que la conscience n’est pas un produit accessoire de la matière, mais une propriété essentielle de la réalité.
Rappelons-le, la théorie quantique suppose que tout est énergie, que tous les phénomènes sont intriqués et qu’il existe une influence de l’observateur sur l’objet observé. Concernant ce dernier point, on peut en conclure que la conscience est nécessaire au processus de création de la réalité physique.
Par ailleurs, pour Schrödinger, « la science ne peut pas résoudre le problème de la conscience, car la conscience est le présupposé de toute science ». Cette vision se rapproche d’un panpsychisme, c’est-à-dire de l’idée que la conscience est présente à tous les niveaux de la matière.
Esprit, conscience et pensée
Selon Maria Stromme, il existerait un champ de conscience universelle dont l’Homme fait partie. A ce titre, elle distingue :
- l’intelligence créatrice universelle sous-jacente (l’esprit),
- la capacité de perception universelle (la conscience),
- et le mécanisme dynamique par lequel émergent l’expérience individuelle et la différenciation (la pensée humaine).
Selon la physicienne, l’impression de dualité naîtrait de divers mécanismes quantiques appliqués à l’individu. La pensée transformerait les différentes potentialités en une réalité structurée bien particulière. Or, qui dit structuration dit séparation. Mais cette séparation relèverait de l’illusion, car toute expérience ne peut émerger que du substrat unifié et informe.
Le Big Bang, l’esprit et la matière
Pour Maria Stromme, le Big Bang correspond au passage de l’état indifférencié de l’esprit universel (superposition de toutes les configurations possibles de la réalité) aux états différenciés tels que l’espace-temps, l’énergie, la matière, la conscience individuelle ou encore les expériences subjectives.
Le Big Bang représenterait donc l’effondrement des potentialités en un seul état, par l’effet d’une observation, d’une interaction ou encore d’une fluctuation quantique. Maria Stromme évoque aussi la possibilité d’une autoréflexion : l’esprit universel aurait pu se différencier en souhaitant se connaître, en souhaitant prendre conscience de lui-même.
Dans cette perspective, la différenciation résulte de l’acte introspectif de l’esprit universel observant son propre potentiel infini – une boucle de rétroaction créative où la conscience elle-même donne naissance à la forme.
Universal consciousness as foundational field : A theoretical bridge between quantum physics and non-dual philosophy featured, Maria Stromme
Ainsi, l’univers s’observerait lui-même sous une forme différenciée. A noter que cette hypothèse est conforme aux principes de la mécanique quantique, les actes conscients d’observation influant sur les manifestations physiques.
La vie et la mort
Après le Big Bang, le champ de conscience universelle évolue et génère des systèmes complexes capables de conscience, c’est-à-dire des êtres sensibles dotés d’une pensée individuelle. Ces phénomènes sensibles peut être assimilés à des excitations localisées du champ universel.
A mesure que les systèmes gagnent en complexité (notamment grâce à l’évolution biologique), la conscience se localise. Elle devient de plus en plus différenciée et consciente d’elle-même, mais aussi plus à même d’imaginer la présence d’un « ordre supérieur ».
D’autre part, pour Maria Stromme, la mort d’un individu ne signifie pas l’annihilation de sa conscience mais son retour dans le champ universel, ce qui peut être compatible avec l’idée de vie après la mort.
De la science à la philosophie non-duelle
Le modèle de Maria Stromme propose de relier physique quantique et philosophie non-duelle :
Historiquement, les traditions philosophiques et spirituelles ont considéré la conscience comme primordiale. Dans l’Advaita Vedanta, par exemple, la conscience (Brahman) est la réalité ultime d’où émerge le monde matériel. La philosophie bouddhiste met l’accent sur l’interdépendance et l’idée de vacuité, ce qui rejoint l’idée selon laquelle la forme provient d’un domaine informe. De même, le mysticisme chrétien et le soufisme islamique décrivent le divin comme une présence infinie qui imprègne toute existence. Ces traditions partagent une conception commune : la conscience est universelle, éternelle et essentielle à la nature même de la réalité.
À l’inverse, les approches scientifiques actuelles cherchent principalement à expliquer la conscience comme un phénomène émergent du cerveau. Par exemple, les neurosciences cognitives modélisent la conscience comme le résultat de processus neuronaux complexes et d’une intégration de l’information. Cette conception reste ancrée dans le matérialisme, considérant la conscience comme secondaire aux processus physiques.
Plus loin :
Ce modèle fait écho à la doctrine chrétienne de la Trinité, où l’esprit, la conscience et la pensée reflètent respectivement les rôles du Père, du Saint-Esprit et du Fils. Dans le soufisme, le principe de Tawhid (l’unicité) décrit l’existence comme une unité indivisible, à l’instar de l’idée que la conscience individuelle est une manifestation temporaire d’un champ universel. De même, dans le taoïsme, le Tao est un principe créateur sans forme d’où émane toute différenciation, reflétant la nature non duelle de l’esprit.
La thèse de Maria Stromme pourrait aussi être rattachée aux concepts de Soi spirituel et d’âme du monde. Elle est compatible avec l’idée de karma.
Enfin, elle rappelle beaucoup l’enseignement kabbalistique, notamment la notion de Tsimtsoum (retrait de Dieu lors de la création du monde) ou encore les émanations de Dieu à travers les sphères de l’arbre de vie séphirotique. L’arbre de vie peut en effet être abordé comme une double-carte du cosmos et de la conscience.
Conclusion
Si la structure physique émerge de principes quantiques, alors la conscience elle-même pourrait fonctionner de manière similaire : non pas comme un effet secondaire de l’activité neuronale, mais comme une caractéristique intrinsèque de l’univers. Cette interprétation soutient l’idée que l’esprit, la conscience et la pensée sont des principes structurants fondamentaux, et non des épiphénomènes de l’activité cérébrale.
Non seulement Maria Stromme invite à ne plus séparer esprit et matière, mais elle affirme que la conscience est le champ fondamental de la réalité. Cette thèse questionne le mécanisme de nos perceptions, le rôle de l’observateur et l’importance de la connaissance de soi.
Dans la conclusion de son article, Maria Stromme insiste sur les questions éthiques et sociétales qui découlent de sa thèse :
Si la conscience est effectivement universelle et fondamentale, les considérations éthiques pourraient s’étendre au-delà de la cognition humaine, englobant l’intelligence artificielle, la responsabilité environnementale et l’ensemble du vivant. L’illusion de séparation, renforcée par la perception individuelle, cède la place à une reconnaissance plus profonde de l’unité, favorisant l’empathie, la coopération et un sens partagé des responsabilités.
Au final, à travers son article, Maria Stromme fait littéralement exploser les barrières qui existent entre science, philosophie et spiritualité. Elle réconcilie physique et métaphysique, elle ose associer mathématiques et éthique.
Elle invite aussi à briser l’illusion de la matière et de la dualité. Mais on aurait tort de rejeter définitivement la matière. En effet, bien qu’illusoire, la matière est le lieu de l’expérience humaine, le lieu du questionnement, de la quête, le socle de toute avancée, de tout progrès. La vérité ne peut émerger que de l’illusion…

Qu’est-ce que la spiritualité ? Quel est le but à atteindre ? En quoi consiste la méthode spirituelle ? Quel lien avec la philosophie ?
Ce livre numérique pdf (216 pages) aborde les notions essentielles de la spiritualité à travers 65 textes
« Du moi vers le Soi » est une formation en ligne qui permet d’aborder la spiritualité de manière ouverte et complète.
Elle se compose de 13 fichiers audios et de 10 livres et documents pdf.

Modif. le 28 novembre 2025











