La décadence : définition et approche philosophique. Qu’est-ce que la décadence et comment se manifeste-t-elle ? Notre société est-elle décadente ?
La décadence (du latin cadere : « tomber ») peut être définie comme le chemin de la ruine.
« Décadence » est synonyme de déclin, de décrépitude, de déliquescence, de relâchement ou de corruption. On parle de décadence morale, intellectuelle, artistique, culturelle, spirituelle, politique, sociale, civilisationnelle ou individuelle…
Le concept de décadence renvoie à certains épisodes historiques, notamment la chute de Rome. L’Empire romain s’est lentement affaibli par la corruption politique, la perte du sens civique, la surconsommation et la dépendance aux mercenaires, un déclin qui a facilité les invasions barbares.
Il existe bien d’autres épisodes de décadence dans l’Histoire, par exemple la fin de l’Ancien Régime en France, époque où la noblesse et la monarchie vivaient dans le luxe, déconnectés du peuple.
De même, la République de Venise a lentement sombré dans la décadence à partir du XVIe siècle, se détachant des réalités politiques et militaires, connaissant parallèlement la libération des moeurs, le développement des plaisirs et de la prostitution.
Par ailleurs, la Bible fait aussi état de plusieurs épisodes de décadence, notamment :
- la chute d’Adam et Ève : peut-être la première de toutes les décadences,
- la corruption qui précède et provoque le Déluge,
- l’épisode de la tour de Babel,
- la décadence de Sodome et Gomorrhe,
- l’épisode du Veau d’or, montrant un peuple versant dans l’idolâtrie, véritable dévoiement de la pratique religieuse,
- la corruption provoquant la chute du royaume de Juda et la déportation du peuple juif à Babylone,
- ou encore, la Babylone symbolique décrite dans le livre de l’Apocalypse, offrant l’image de l’ultime décadence.
De manière générale, la décadence survient lorsqu’une civilisation atteint un certain niveau de développement. Elle est liée à la facilité, aux excès et aux vices, notamment la paresse, l’orgueil ou la sexualité débridée (cf. les sept péchés capitaux). Elle touche aussi à l’hybris (la démesure), à l’égoïsme, à l’individualisme. Elle apparaît comme une perte de sens, elle se traduit par un recul des valeurs communes et de la cohésion sociale.
Pourtant, nous allons voir que le concept de décadence se rencontre aussi dans des civilisations en pleine expansion, ce qui est pour le moins paradoxal…
Voici une approche philosophique de la décadence.
La décadence : approche philosophique
La décadence est avant tout un déclin moral qui se manifeste par le développement du vice et des mauvais penchants de l’être humain, à savoir l’orgueil, la paresse, la recherche des plaisirs, la débauche, la luxure, la licence (liberté de tout faire), la corruption ou encore le goût de l’argent.
La décadence correspond normalement à la fin d’un cycle. Pourtant, le terme de décadence n’est jamais autant employé que dans les sociétés qui connaissent un progrès rapide. La décadence peut alors correspondre à un sentiment de peur ou d’incompréhension face au changement. Elle peut encore exprimer un décalage entre les règles traditionnelles et les nouveaux codes de la société, écart qui génère frustrations et tensions.
Ainsi, même dans l’époque florissante des Trente glorieuses en France, on a pu parler de décadence de la jeunesse, des moeurs ou de l’art. Pourtant, si la société française a connu des transformations profondes durant cette période, elle n’a subi aucun effondrement…
La décadence serait-elle une question de point de vue ? Relèverait-elle de l’opinion ? Reflèterait-elle simplement l’opposition entre conservateurs et progressistes ?
L’éternelle décadence de la jeunesse…
En réalité, la décadence est peut-être affaire de différences générationnelles.
Certains textes très anciens expriment déjà l’inquiétude des sages et des professeurs face à ce qu’ils percevaient comme la décadence morale des jeunes. La plus ancienne trace écrite connue à ce jour nous vient de Mésopotamie, présente sur des tablettes d’école datant de 2000 ans avant J-C :
L’élève ne parle pas correctement. Il ne respecte pas la parole du maître. Il se lève tard. Son écriture est négligée.
De même, Socrate, Tacite et Sénèque pointaient du doigt une jeunesse méprisant l’autorité et recherchant la facilité.
Aujourd’hui encore, les professeurs dénoncent un niveau qui ne cesse de baisser et des enfants qui seraient moins bien élevés qu’auparavant…
A l’évidence, l’incompréhension entre générations est l’un des ressorts du sentiment de décadence. Mais au-delà de l’impression, comment définir la décadence réelle ? Qu’est-ce au juste qu’une société décadente ?
Notre société est-elle décadente ?
Pour affirmer qu’une société est réellement décadente ou non, il est nécessaire de définir des critères objectifs.
Parmi ces critères, on pourrait citer l’affaiblissement de l’Etat, l’effondrement des institutions ou le développement de la corruption.
Mais certains préfèreront pointer le développement des injustices, le recul de la solidarité, le délitement des liens sociaux, le recul du vivre-ensemble et des valeurs humanistes.
D’autres attireront l’attention sur le ralentissement de la croissance économique, la perte de leadership mondial, la baisse de la capacité à innover et à maîtriser les technologies de demain.
D’autres encore souligneront l’évolution de notre société vers les valeurs de l’argent, de la consommation, du plaisir, de la fête et du divertissement, au détriment de la responsabilité individuelle ou des valeurs traditionnelles.
Enfin, certains jugeront notre civilisation décadente parce que totalement coupée de la terre et de la Nature.
Bref, les critères de la décadence sont nombreux, parfois contradictoires. Une société peut connaître une forme de décadence dans un domaine et de progrès dans un autre.
La décadence : catastrophe ou chance ?
La notion philosophique de décadence, au même titre que celles d’ordre et d’équilibre, est ambiguë. En effet, on ne peut atteindre un haut niveau de développement sans renforcer le risque de crise. A l’inverse, tout effondrement favorise une renaissance.
En réalité, le seul fait de parler de décadence incite à se ressaisir et à corriger les excès. Une société équilibrée est donc une société qui mesure en permanence le risque de décadence et qui sait faire face aux crises qui la secouent, ce qui la préserve d’un effondrement total.
Progrès, apogée et décadence : un lien étroit
Dans l’Histoire, les civilisations les plus florissantes et les plus puissantes ont souvent été les plus centralisées, ce qui a favorisé leur effondrement rapide.
A l’inverse, les grandes crises ont parfois conduit à un rebond moral, voire à la fondation d’une société nouvelle. Ce fut le cas au moment de la Révolution française (sauf à considérer que cette Révolution fut en elle-même une décadence…). De même, ce fut le cas pour nombre de pays au sortir de la Deuxième guerre mondiale.
Un besoin de crises ?
Pour Nietzsche, la décadence correspond à un affaiblissement de la vie : c’est un recul des instincts vitaux, le symptôme de sociétés ou d’individus qui refusent la vie, privilégiant la sécurité, la morale ou la raison au détriment de la force et de la créativité.
Nietzsche considère en particulier que la morale chrétienne conduit à la décadence en valorisant la faiblesse, l’amour et la soumission, au lieu de célébrer l’affirmation de soi. Il appelle à l’émergence d’un « surhomme » capable de créer et d’affirmer ses propres valeurs.
Dans cette perspective, toute société aurait besoin de violence, de crises et d’affrontements, voire de guerres, quitte à risquer la défaite. Une société qui refuserait de lutter serait une société décadente : paradoxalement, les crises sont donc les instruments qui permettent à une société de se refonder.
L’approche de Nietzsche est brutale, mais elle éclaire parfaitement le double-sens du mot décadence : à la fois négatif et positif, à la fois catastrophe et chance de refondation.
Conclusion sur la décadence en philosophie
Le terme de décadence, s’il correspond parfois à une réalité objective au sens d’une société qui subit un recul brutal, relève le plus souvent d’une vision subjective, d’une inquiétude ou d’une incompréhension face aux transformations en cours.
On ne peut juger de la décadence réelle d’une civilisation qu’après son effondrement effectif : c’est le rôle des historiens. Ceux qui perçoivent une forme de décadence dans la société actuelle doivent avant tout s’interroger sur les raisons de ce sentiment et sur leur réelle capacité à comprendre le monde.
Le concept de décadence reflète surtout les différences de points de vue et les écarts intergénérationnels. Ceux qui perçoivent la décadence sont peut-être ceux qui sont le moins à même de comprendre les ressorts d’un monde qui change : ne sont-ils pas eux-mêmes décadents ?
De fait, personne n’est en capacité de comprendre le monde dans sa globalité. Personne ne peut prévoir l’avenir d’une société, personne ne peut prédire un effondrement ou un rebond.
Au final, le sage est celui qui aborde la question de la décadence avec beaucoup de recul et de prudence…
Quelques citations sur la décadence
Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant.
Molière, Le malade imaginaire
L’époque (la nôtre). Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu’elle n’est pas poétique. L’appeler époque de transition, de décadence.
Flaubert, Dictionnaire des idées reçues
J’aime le mot décadence tout miroitant de pourpre et d’ors. Ce mot suppose des pensées raffinées d’extrême civilisation, une haute culture littéraire, une âme capable d’intenses voluptés.
Verlaine, Les Poètes maudits
Le grand argument contre les décadences, c’est qu’elles n’ont pas de lendemain et que toujours une barbarie les écrase. Mais n’est-ce pas le lot fatal de l’exquis et du rare d’avoir tort devant la brutalité ?
Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine
Toute fin d’époque est le paradis de l’esprit, lequel ne retrouve son jeu et ses caprices qu’au milieu d’un organisme en pleine décomposition.
Emil Cioran, Précis de décomposition
Tout est nouveau, tout est futur.
Eluard, La Rose publique
Toute époque a toujours été la pire. Et s’il y en a qui furent vraiment pires, c’est elles qui enfantèrent les plus grandes choses.
Henri de Lubac, Nouveaux paradoxes

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Modif. le 13 juin 2025