Le texte qui suit pose la problématique des avancées de l’intelligence artificielle et de l’arrivée des robots humanoïdes dans nos vies, des bouleversements et des dangers que cela implique…
Cher Elon Musk, j’ai eu vent de vos objectifs pour les dix prochaines années, contre la promesse d’une belle rémunération de 1000 milliards de dollars. Parmi vos ambitions, démocratiser la voiture autonome ainsi que les robots humanoïdes pilotés par l’intelligence artificielle. D’ici quelques temps, « chaque humain sur Terre voudra son robot personnel », annonciez-vous le 6 novembre 2025.
On vous dit visionnaire, véritable génie de l’entrepreneuriat. Et je suis forcé de reconnaître que vous allez effectivement révolutionner nos vies.
Ainsi, vous nous promettez d’avoir demain, chez nous, un robot humanoïde extrêmement performant sur tous les plans. Plus besoin d’effectuer les tâches ménagères, plus besoin de faire les courses (le robot ira tout seul en voiture autonome, ou d’autres robots viendront nous livrer), plus besoin de s’occuper du jardin, ou alors simplement pour le plaisir. Quel bonheur de se libérer de ces tâches inutiles !
Nous pourrons donner à notre robot humanoïde le prénom que nous voudrons, par exemple Alfred. A terme, Alfred sera notre as du bricolage, notre majordome, notre médecin de famille (ultra-compétent), notre ami, notre psychologue, confident dans les moments difficiles, notre conseiller financier, notre coach personnel et même le professeur particulier de nos enfants.
Alfred sachant tout faire, nous n’aurons plus besoin de faire appel à tous ces professionnels qui coûtent si cher en argent et en impôts et, il faut le dire, ne sont pas toujours compétents…
M. Musk, vous êtes visionnaire, donc réaliste, et à ce titre vous annoncez à juste titre que des millions d’emplois vont disparaître. Vous voyez cela plutôt comme une libération, puisque vous proposez en contrepartie l’instauration d’un revenu universel, qui nous permettra de vivre sans travailler et… d’acquérir un robot humanoïde. Très malin !
Plus besoin de travailler donc, puisque les robots le feront pour nous : il nous restera les loisirs, l’art, les plaisirs de la consommation et le choix d’exercer une activité quand nous en avons envie. Vous parlez même d’une « utopie communiste » qui serait le stade ultime du capitalisme, avec il est vrai, une pointe d’ironie.
Mais revenons à Alfred, notre robot, notre ami du quotidien. Alfred est vraiment excellent en tout. Véritable puits de science, il est plus rapide, plus intelligent, plus adaptatif que n’importe quel être humain. Il sait tout faire et s’améliore constamment.
Ici, je vais vous avouer ma crainte : j’ai peur que, très vite, Alfred prenne beaucoup de place. En réalité, Alfred va devenir un meilleur père, un meilleur ami, peut-être même un meilleur conjoint, en tous cas un être plus intelligent, plus beau et plus créatif que nous.
Mais alors, que nous restera-t-il ? J’ai bien peur que ma femme me quitte pour Alfred. Mes enfants n’écouteront plus qu’Alfred, car il parle de manière douce et compréhensive, alors que je manque de patience. De mon côté, je pourrais bien vouloir refaire ma vie avec un robot féminin, que je prénommerai Alexia (parce que j’aime ce prénom), et qui me procurera sans doute plus de bonheur que mon ex ; Alexia, elle, acceptera parfaitement mes défauts et mon impatience. Il ne me viendra jamais à l’idée de me séparer d’elle, car j’aurais vraiment beaucoup à perdre…
Mais que reste-t-il à un homme qui n’a plus besoin d’affronter les réalités de la vie ? Que reste-t-il à un homme qui n’aurait plus besoin de se confronter à ses limites, qui n’aurait plus besoin d’aider ses enfants à faire leurs devoirs, plus besoin de leur apprendre à faire du vélo, puisqu’Alfred (ou Alexia) le fera de manière plus sûre, plus pédagogique et plus adaptée ?
Cher Monsieur Musk, vous êtes en train de vider l’être humain de sa substance, de son humanité. Cette humanité, vous voulez la transférer, sous une forme factice, vers la machine. Nous ne verrons plus en l’Homme que ses défauts, face à des machines qui elles, seront parfaites.
Dans cette société communo-capitaliste que vous appelez de vos voeux, il y aura en réalité trois classes : les humains vidés de leur substance, les robots parfaits, et les fabricants-concepteurs de robots, véritables maîtres du monde.
Voilà ce que vous êtes en train de créer : une société ultra-technologique, uniformisée, standardisée, hyper-concentrée, ou seuls quelques modèles de robots avancés, détenus par une poignée de multinationales et leurs dirigeants mégalomanes, domineront nos esprits et dicteront nos modes de vie. Le monde entier sera entre vos mains. Vous aurez tout pouvoir sur nos âmes, puisqu’une simple modification de l’algorithme des robots modifiera nos habitudes et nos modes de pensée, en particulier ceux de nos enfants, selon votre bon vouloir.
Les robots ne vont pas nous libérer, ils vont plutôt nous « cultiver », de la même manière que les fourmis élèvent des pucerons. Nous n’aurons plus besoin de penser, puisque les machines produiront à la fois les questions et les réponses…
Voyez-vous le drame, Monsieur Musk, c’est que nous ne vous êtes jamais posé la question de ce qu’est un être humain, de sa nature profonde, de ce qu’il recherche, et du sens de son passage sur Terre.
Nous les humains, pour être véritablement humains, avons besoin de nous confronter à la réalité, de relever des défis, d’affronter des dangers, d’avoir peur de l’avenir, de chercher notre vocation, de nous investir dans un travail, de nous réaliser, d’observer nos sentiments, de nous tromper, de progresser, d’apprendre de nous-mêmes, de changer de point de vue, de trouver de l’aide, du soutien, et en retour d’aider, de conseiller, de transmettre, de relever, de comprendre et de pardonner. Vivre, c’est évoluer dans la quête permanente de soi et des autres, c’est chercher à mieux se connaître et à mieux connaître les autres. Un humain est un être qui expérimente sans cesse, qui cherche le sens. C’est un être qui pleure et qui rit, qui souffre et qui apprend, bref qui vit.
Voilà ce qu’est un être humain, et cela revêt un caractère sacré. A l’inverse, vous nous proposez de vivre dans un monde de facilité et de passivité. Vous nous proposez de vivre par procuration, de faire les choses par plaisir, par loisir, au lieu de les vivre véritablement, viscéralement.
Savez-vous ce que serait une société véritablement avancée ? Ce serait une société où chacun pourrait traverser les difficultés de la vie avec le soutien fraternel des autres. Ce serait une société où tous les êtres humains développeraient leur capacité à penser par eux-mêmes, à trouver leur voie et leur utilité au sein de la société, en paix et en harmonie avec les autres.
Nous avons besoin d’une société où chacun pourra se tenir debout, tout en aidant les autres à se relever et se tenir debout.
Nous avons besoin de moins de données et de plus de quête.
Nous avons besoin de moins d’intelligence artificielle et de plus de transmission humaine.
Nous avons besoin de moins d’algorithmes qui nous isolent dans nos certitudes, et de plus de rencontres.
Nous avons besoin de moins d’oligarques et de plus de citoyens éclairés.
Nous avons besoin de moins de technologie et de plus de sens.
Nous avons besoin de moins d’écrans et de plus de vie.
Nous avons besoin de moins de réponses et de plus de débat.
Nous avons aussi besoin de plus de reconnaissance pour les millions d’inconnus qui chaque jour s’emploient à réparer le monde froid que vous créez.
Nous avons besoin de moins de domination et de plus de chaleur humaine.
Nous avons certes besoin de plus de visionnaires, mais de visionnaires humanistes.
Nous avons certes besoin de plus d’intelligence, mais d’intelligence du coeur.
Cher Elon Musk, nous ne lirez peut-être jamais cette lettre. En réalité, elle s’adresse tout autant à nos dirigeants qui, au lieu d’être soumis à vos idées et à vos faits accomplis, devraient immédiatement convoquer un débat démocratique et citoyen pour mettre ces sujets sur la table, puisqu’il en va de l’avenir de notre société, de nos enfants et de notre planète. Entre temps, nos dirigeants devraient immédiatement suspendre la diffusion de ces nouvelles technologies basées sur l’intelligence artificielle : CELA EST VITAL ET URGENT.
Monsieur Musk, je pense qu’à ce stade vous avez bien compris mon message : la technologie devrait être mise au service de l’Homme, et non l’inverse. Une technologie qui coupe l’humain de lui-même et des autres est une technologie de mort, une monstruosité. Si vous étiez véritablement visionnaire, vous auriez déjà pris conscience de cela…
Adrien Choeur
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Modif. le 29 novembre 2025
