Le mythe de Déméter : quelle signification ? quel sens ésotérique ? quelle résonnance maçonnique ? Analyse et interprétation.
Déméter est la fille de Rhéa et de Cronos ; elle est aussi la sœur et l’épouse de Zeus. Elle est avant tout la déesse du blé, dont elle facilite la germination, mais aussi déesse de la moisson, dont elle assure la maturité et l’abondance des récoltes.
Ainsi, tous les pays grecs de l’Antiquité dont l’économie reposait pour une part essentielle sur la culture de cette céréale ont multiplié les légendes autour de Déméter.
Le mythe de Déméter, aussi appelée Cérès par les romains, est extrêmement dense ; nous n’en traiterons ici que le mythe principal : celui d’Hadès, dieu du monde souterrain, ravissant la fille de Déméter, Coré (aussi appelée Perséphone), pour en faire sa femme et la déesse des enfers…
Entrons dans le mythe de Déméter et sa signification symbolique.
Le mythe de Déméter : présentation
Coré cueillait des fleurs lorsque la terre s’ouvrit. Hadès parut, conduisant son char, saisit Coré et l’entraîna dans ses sombres demeures. Elle se mit à errer, vêtue de noir, portant des flambeaux, refusant de boire et de manger, durant neuf jours.
Dans d’autres versions, Déméter part à la recherche de sa fille durant neuf jours, menaçant l’humanité de famine. Coré s’isole, se cache, se laisse envahir par la tristesse et la colère. Les grains semés dans la terre ne lèvent pas et la famine guette.
Hélios, le Soleil qui voit tout, révèle à Déméter qu’Hadès a enlevé sa fille. Déméter en appelle à Zeus. Zeus envoie Hermès chez Hadès pour tenter de le raisonner. Hadès se laisse convaincre et fait remonter Coré à la lumière mais, auparavant, lui fait goûter un grain de grenade, la tenant ainsi en son pouvoir. Coré revient chez Hadès.
In fine, les acteurs de ce drame parviennent à un accord : Coré passera deux tiers de l’année à la surface de la Terre et un tiers sous Terre, chez Hadès. Coré prend le nom de Perséphone.
Même si l’élément déterminant du mythe est le rapt de Coré, on associe généralement le mythe de Déméter au grain de blé enfoui sous terre pendant quatre mois, soit un tiers de l’année. On peut aussi évoquer les saisons, mais c’est plutôt le cycle végétatif et le rythme des saisons du blé dont il s’agit ici.
Les saisons, la mort et la renaissance
A la première période de la vie annuelle de Coré correspond le printemps : les jeunes pousses, comme la déesse, sortent de la terre sous la protection de Déméter ; à la seconde période, l’époque des semailles de l’automne, des grains de blé sont enfouis en terre, comme Perséphone retournant au séjour des morts.
Les mystères d’Éleusis (petite ville proche d’Athènes), qui célébraient le culte de Déméter, voyaient également dans cette légende un symbole perpétuel de mort et de résurrection.
La déesse était vénérée comme l’une des divinités principales de l’Abondance et de la Fertilité par les initiés aux mystères et par les agriculteurs qui célébraient, au moment des moissons, des fêtes comme les hesmophories et les Éleusinia.
Déméter est donc le symbole de la civilisation antique dont elle assure, par l’abondance des récoltes, le perpétuel épanouissement.
Analyse du mythe de Déméter
Dans le mythe de Déméter, l’hiver est perçu comme une nécessaire descente en enfer pour préparer la fécondité de la vie.
La mère et sa fille, Déméter et Perséphone, vivent dans le bonheur, la beauté et la plénitude de la vie. Subitement, la fille est enlevée par un dangereux prétendant.
La mère ne supporte pas d’être séparée de sa fille : elle est plongée dans une angoisse extrême. Le prétendant endosse les pires traits : il est le prince des enfers. Déméter se voit condamnée à une vieillesse prématurée et stérile.
En réalité, Déméter refuse d’accepter la descente aux enfers comme nécessaire à la vie. Elle déclenche alors la famine. La situation est bloquée, inextricable : c’est ici que le mythe et le symbolisme interviennent pour réconcilier ce qui paraît inconciliable.
Pour cela, il faut un intermédiaire : c’est Hermès qui va jouer ce rôle. Le médiateur va aider chacun à maîtriser sa peur pour oser faire de la descente aux enfers une chance.
C’est Zeus lui-même qui décide d’autoriser Perséphone à rester les deux tiers de l’année sur l’Olympe et à descendre en enfer pour rejoindre Hadès durant l’hiver. L’hiver est nécessaire à la fécondité de la terre comme la descente en enfer est nécessaire à la fécondité de la vie humaine, comme une forme de purification consistant à exorciser ses propres démons.
Approche ésotérique
Le mythe de Déméter et de sa fille Perséphone révèle l’épreuve initiatique que doit traverser la Vierge représentée par Perséphone. Celle-ci est, dans ce mythe, l’épouse de l’Invisible ; elle connaît les deux mondes : celui de l’ombre et celui de la lumière.
La première fonction du mythe est d’expliquer le cycle des saisons, l’automne et l’hiver correspondant au deuil de Déméter. On rejoint là la fonction étiologique du mythe dont le but est tout d’abord d’expliquer les phénomènes naturels, d’éclairer le fonctionnement du monde …
D’autre part, au mythe de Déméter se rattache une série de thèmes dont l’inconscient collectif se nourrit. Le rapt de la jeune fille, véritable acte de violence sur un être sans défense, renvoie à la virilité de l’homme et le valorise. Le cas de Coré reste cependant un peu particulier puisqu’il s’agit du dieu des Enfers, et donc de la Mort elle-même. La jeune fille meurt symboliquement pour renaître à chaque printemps, et la modification finale de son nom en Perséphone participe à ce changement de statut. Statut doublement ambigu puisque la mort se double d’un mariage : Coré (Koré en grec signifie la jeune fille) hérite d’un mari et perd son nom de jeune fille.
Nous sommes ici au cœur du thème de « la jeune fille et la Mort » : la jeune fille est par définition vierge et la mort semble la rendre femme.
Le mythe de Déméter et le symbolisme maçonnique
Lors de la cérémonie de la saint Jean d’été au R.E.A.A., le Vénérable Maître demande au Frère Second Surveillant : « De quel présent symbolique disposez-vous ? » Celui-ci répond : « Du blé ».
Le Vénérable Maître ajoute :
Parce que le blé symbolise le don de la vie. (…)
Le grain de blé doit mourir en terre pour assurer sa renaissance multiple dans l’épi qui sera moissonné. (…)
Le blé qui sera transformé en pain symbolise aussi la nourriture matérielle qui est indispensable au maintien de la vie humaine. (…)
Le blé, symbole de la fécondité, initie aux mystères de la vie. Il permet de découvrir l’harmonie entre la vie humaine et la vie végétale.
Comme la tige de blé qui meurt et confie à la terre son grain pour renouveler la vie, l’Homme aspire à renaître, par sa Semence, dans l’Etre nouveau à qui il transmet la vie.
En fait, ce qui est doit périr pour que vienne ce qui doit être.
Le grain de blé travaille donc vers l’intérieur avant d’être stimulé dans la voie qui conduit à l’extérieur, comme le franc-maçon doit travailler sur lui-même s’il veut s’élever vers les autres et trouver sa place parmi eux.
Celui qui a su descendre en lui-même atteint une forme d’immortalité. La « descente » est ainsi privilégiée sur la « montée », les chrétiens diraient l’ascension.
Le mythe de Déméter et les Mystères d’Éleusis semblent mettre l’accent sur la descente, loin les dieux, sur la terre de leurs joies et de leurs misères, peut-être dans l’espoir de conjurer la mort. Le franc-maçon, lui, peut user du symbole du fil à plomb ou bien encore pratiquer lors de son initiation la première épreuve, dite de la Terre, celle du Cabinet de Réflexion.
Le thème de la mort est évidemment très présent. Elle est terrible et implacable. Pourtant elle est aussi apprivoisée par les hommes, pour nourrir la paix du monde.
La tradition grecque privilégie le retour des saisons, à l’image d’un monde conçu comme un éternel recommencement. La résurrection est, au contraire, intimement liée au devenir du monde.
Ainsi, le R.E.A.A. comme le mythe de Déméter nous enseignent que le cycle des mondes, de la vie et des saisons est infini. Le message de la franc-maçonnerie semble tout entier contenu dans ce mythe : une visite à l’intérieur de la terre, le dépouillement des métaux, la mort puis la résurrection, enfin la restitution des métaux avec le retour à la Vie.
On retrouve encore dans nos temples les grenades qui ornent nos colonnes. Elles rappellent que ce mythe a un sens secret, comme les grains enfermés dans les loges du fruit. Par les Mystères, ceux d’Eleusis par exemple, le Mythe devient Rite, ces « Mystères dont on ne peut parler car une crainte profonde paralyse la langue ».
La perspective visionnaire cosmique des Mystères d’Eleusis plaçait la mort au fond et au centre de tout, nullement comme un « point mort » mais comme un point de départ, le plus profond et le plus riche, vers l’accomplissement du plus grand et du plus intime désir de vie.
Les mystères ont peut-être nourri certains rites du christianisme : le Ciel et la Terre, la venue du Fils sur Terre, sa dualité (mort et Résurrection), la chute d’Adam et Eve par le péché, le rôle médiateur des anges, les rites de purification, le symbole de l’eau et du blé, l’existence d’un Dieu-Père, régulateur universel tel Zeus ou le Grand Architecte…
Ces notions sont d’ailleurs présentes dans l’évangile de Jean, bien connu des francs-maçons du R.E.A.A., qui ouvrent leurs travaux à son prologue. On peut en effet y trouver (XII, 24-25) :
Si le grain de blé ne tombe en terre Et ne meurt, il reste seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruits. Qui s’attache à sa vie la perd. Qui ne s’attache pas à sa vie en ce monde La garde pour la vie éternelle.
On retrouve cette notion dans l’hymne homérique à Déméter :
Heureux parmi les hommes sur la terre, celui qui les a vus (sous-entendu « Les mystères »). Mais celui qui n’est pas initié n’aura pas le même sort après sa mort, au royaume des ombres d’Hadès. Si le grain de froment tombé dans la terre ne meurt pas, il reste seul. S’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Conclusion
Avec le mythe de Déméter, on touche au plus profond de notre civilisation : la célébration du mariage permanent de la Terre et du Ciel, des hommes et des dieux.
Dès l’origine, les mythes et les religions sont médiation, et nombre de dieux ou d’êtres ailés sont médiateurs. Déméter est la déesse de ce mariage, protectrice de la terre et de sa fécondité, sensible à la condition humaine, intercesseur des hommes auprès des dieux. Déméter, en cela, est une déesse de raison.

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Modif. le 20 août 2025
















