Le mythe d’Orphée : quel contenu ? Quel message symbolique et initiatique ? Qu’est-ce que l’Orphisme ? Interprétation.
Le nom d’Orphée, ce héros mythique, poète et enchanteur, émerge pour la première fois dans l’histoire grecque au cours VIe siècle avant J.C. sous la plume du poète Ibykos. Pratiquement à la même époque, Pindare le mentionne parmi les héros ayant vécu la grande aventure initiatique de la Toison d’Or.
Orphée est un aède (c’est-à-dire un poète épique) de la Thrace qui, dans l’Antiquité grecque, était la terre vouée à Dionysos, dieu des forces vitales, de la végétation, de la magie, dont le culte quand il était public donnait lieu à des fêtes, les Dionysies, à des Mystères et à une initiation lorsqu’il était secret.
Orphée était le fils du roi Œagre et de la muse Calliope, l’une des neuf filles de Zeus. Parfois, le personnage a aussi pour père Apollon, dieu de la clarté solaire, des arts, de la musique et de la poésie mais aussi de la purification et de la guérison.
Par son père Œagre, Orphée aurait été initié à la magie et aux mystères dionysiaques qui se pratiquaient dans des cavernes la nuit et comportaient des sacrifices, des délires dus à l’ivresse ou à la consommation de drogues.
Toujours en Thrace, Orphée faisait office de roi et savait par les accents de sa lyre charmer les animaux sauvages et émouvoir les êtres inanimés, y compris les arbres. Il aurait été comblé de ces dons multiples par Apollon et l’on raconte qu’il rajouta deux cordes à la traditionnelle lyre à sept cordes que ce dernier lui confia.
Fondateur de l’Orphisme, Orphée aurait laissé un recueil de chants, de rites initiatiques et de prescriptions pour ses fidèles, connus sous le nom d’Orphica.
Figure riche et complexe, on ne sait si le personnage a réellement existé…
L’étymologie n’est d’aucun secours : en phénicien, Orphée est-ce lui qui guérit par la lumière, en Thrace il est le dieu de la harpe, en grec celui qui perce l’obscurité. Dans cette langue, notons que la lettre « M » le sépare du dieu Morphée, dieu du contenu invisible et de la nuit. Le symbolisme de cette lettre contient l’idée de clôture, d’enfermement, de restriction. Ainsi, avec Orphée, l’invisible s’exprimerait dans le visible…
Nous sommes ici dans la droite ligne de la fonction du poète telle qu’elle se concevait dans les sociétés traditionnelles telles celle de la Grèce de l’Antiquité, qui perdure de nos jours en Inde, et qui est celle d’un initié, d’un intermédiaire entre le Ciel et la Terre, d’un magicien.
Entrons plus profondément dans le mythe d’Orphée et sa signification.
Le mythe d’Orphée : présentation
Orphée semble pouvoir atteindre à l’harmonie avec son environnement et son entourage par la musique et la poésie, par la connaissance du rythme et du son. Il est en mesure d’aplanir les difficultés et conflits qu’un ego surdimensionné ne manquerait pas de susciter.
Le personnage d’Orphée peut aussi être envisagé comme la conscience parvenue à certain stade de réalisation, le mythe n’étant que la description du chemin à parcourir…
Résumé du mythe
La musique d’Orphée est si belle qu’elle charme non seulement les humains, mais aussi les animaux, les arbres et même les pierres.
Orphée tombe amoureux d’Eurydice et l’épouse. Mais peu après leur mariage, Eurydice est mordue par un serpent et meurt. Fou de douleur, Orphée décide de descendre aux Enfers pour la ramener. Grâce à son chant, il émeut Hadès et Perséphone (couple qui règne sur les Enfers), qui acceptent de la laisser repartir… à une condition : il doit marcher devant elle jusqu’au monde des vivants, sans jamais se retourner avant d’avoir atteint la Lumière.
Juste avant de sortir, pris d’un doute et craignant qu’elle ne le suive pas, Orphée se retourne. Eurydice disparaît alors à jamais, emportée aux Enfers.
Brisé, Orphée erre en chantant sa peine jusqu’à sa mort tragique…
Interprétation simple
Le mythe d’Orphée peut être interprété à plusieurs niveaux :
L’amour et la perte, le deuil
Orphée symbolise l’amour absolu prêt à braver la mort, mais aussi l’impossibilité d’échapper complètement à la perte. Le retournement traduit à la fois le doute humain et le désir de revoir l’être aimé, quitte à tout perdre.
L’art et la puissance de la musique
La lyre d’Orphée montre que l’art peut apaiser, convaincre, et même « fléchir » les lois les plus implacables (ici, la mort). Mais il y a aussi une limite : la beauté ne peut pas abolir la fatalité.
Le regard et la transgression
Dans beaucoup de lectures symboliques, se retourner, c’est rompre la confiance, désobéir à une règle sacrée. C’est aussi un geste de curiosité ou de tentation, comme dans d’autres mythes (cf. la femme de Loth dans la Bible).
La frontière entre vie et mort
Orphée marche entre deux mondes : le mythe illustre la fragilité de cet instant, où une seule hésitation suffit à rompre l’équilibre.
Lecture psychologique et psychanalytique
Certains y voient encore le symbole du processus de deuil : on tente de « ramener » la personne disparue dans notre vie, mais on doit finalement l’abandonner pour avancer.
L’Orphisme
On ne peut pas parler d’Orphée sans parler de l’Orphisme. Si l’on n’en connaît pas l’origine (autour du VIIe siècle), on sait que ses continuateurs sont Pythagore de Samos et Empédocle d’Agrigente.
L’Orphisme est à la fois une religion secrète à caractère initiatique et une philosophie : l’âme, prisonnière du corps, porte le fardeau d’un crime originel, à savoir Dionysos dévoré par les Titans. La vie humaine n’est qu’un bourbier dont l’âme doit s’extraire. Elle n’y parviendra qu’au terme de nombreuses incarnations et en se purifiant.
La vie sur terre est l’occasion de choix ; nos maux sont le fruit d’actes que nous créons jour après jour, et des pensées discordantes qui prolifèrent en nous. Chacun est l’artisan de sa perte et chacun doit vivre de manière à éviter la répétition des mêmes erreurs à travers des existences similaires.
L’Orphisme imposait de nombreux interdits : pas de contact avec les morts, pas de consommation de viande… Ces derniers n’avaient rien de brimades arbitraires mais favorisaient l’équilibre perdu entre les appétits et leur assouvissement.
Il importait de tenir en respect l’ego dévastateur, cet ego puérilement orienté vers les désirs. Les préceptes d’Orphée portaient donc le message d’un perfectionnement individuel, d’une conversion progressive ou soudaine à un nouveau mode d’existence et professaient la double origine de l’Homme, à la fois divine et terrestre ou « titane ».
Enfin, dans les Rhapsodies Orphiques, sortes d’hymnes, on trouve une cosmologie et une explication de la création du monde : l’Univers serait né d’un œuf cosmique, matrice originelle…
L’imprécision demeure dans l’exposé de la doctrine et la pratique des rites, car les textes de l’Orphisme ont été perdus, remaniés ou falsifiés. Toutefois, certains éléments sont avérés car retrouvés dans des tombes sur de minces feuilles d’or…
L’Orphisme est donc un courant spirituel caché dont l’influence est certaine, voire sous-estimée ; on le retrouve au fil de l’Histoire dans certaines idées, telles le corps abordé comme une prison, en particulier dans la gnose et le gnosticisme, courants qui ont été combattus avec virulence par l’Église.
Les sens profond du mythe d’Orphée
Le mot mythe vient du grec mythos qui signifie « qui a du sens, qui fait sens, qui est signifiant ». Le mythe touche à ce qu’il y a de plus profond en l’Homme. En d’autres termes, il nous parle de nous, de ce que nous sommes et de notre relation au monde.
Le mythe d’Orphée peut être abordé au premier degré ou faire l’objet d’une interprétation morale, notamment dans les textes de Virgile et d’Ovide, évoquant à la fois l’immense puissance de la poésie et de l’amour et son impuissance ultime face à la mort. Il peut encore faire l’objet d’une exégèse mystique, le mythe pouvant par exemple illustrer les mystères de la foi chrétienne.
Pour d’autres, le mythe d’Orphée renvoie, plus qu’à la psychologie, à l’Histoire et même à la protohistoire… Il pourrait être la représentation imagée d’un moment de l’évolution de l’humanité, en particulier du passage du culte de la terre mère au culte solaire et apollinien, en relation avec la sédentarisation des peuples.
Dans certains de ses aspects, notamment le meurtre d’Orphée par les Ménades, le mythe d’Orphée décrirait la guerre que se serait alors livrée les femmes et les hommes et le renversement du pouvoir qui en aurait résulté, instaurant la domination masculine et le patriarcat en lieu et place du matriarcat… Les Amazones étant dans la culture grecque le dernier signe de cette époque très éloignée.
Interprétation spirituelle et initiatique
Si l’on part du principe que le psychisme humain est constitué de trois instances, le moi, l’inconscient et enfin le Soi considéré comme la parcelle divine gisant dans les entrailles de l’homme, alors ce dernier aspect pourrait correspondre à Eurydice dans le mythe d’Orphée.
Le Soi comporte un aspect passif, en attente, souvent symbolisé par une femme ou une princesse. L’éveil du Soi par le moi qui a accepté de s’y subordonner, est symbolisé dans les mythes ou les légendes soit par le baiser comme dans la Belle au Bois Dormant ou Blanche Neige, soit par un mariage.
On retrouve aussi la même idée en alchimie spirituelle : les textes parlent « du mariage du roi et de la reine ».
Or cette hiérogamie, cet accouplement ne peuvent se réaliser que par une descente, aux Enfers pour Orphée, dans le labyrinthe pour Thésée, ou encore par une navigation comme pour Jason et les Argonautes.
Cependant, dans le cas d’Orphée, la situation est différente car le héros est déjà marié à Eurydice. Lorsqu’elle meurt empoisonnée et qu’Orphée descend aux Enfers pour la chercher, elle est son épouse. Nous serions donc dans une autre phase, dans une autre dimension de la quête spirituelle, une dimension plus avancée. En d’autres termes, le mythe décrit ce qui se passe lorsque la conscience de l’initié, après sa descente dans ses profondeurs à la recherche de l’essentiel, remonte pour accomplir le but de toute initiation.
Le mythe d’Orphée présente le dernier écueil sur le chemin de la réalisation initiatique, à savoir le choix que devra faire l’initié entre sa nature humaine et sa nature divine. Cela peut rappeler la dernière épreuve du Christ face au démon dans le désert, épreuve dont il triomphe et qui le conduit délibérément à la crucifixion… En somme, Jésus fait le choix de l’accomplissement divin.
Pour Orphée, c’est l’inverse. Le désir humain qui le pousse à se retourner, malgré le risque de perte de l’aimée, est trop fort. L’initié, malgré tout le travail accompli, contrevient à la Loi spirituelle et sa nature humaine l’emporte ; l’initiation reste inachevée et le but non atteint.
Le mythe d’Orphée est donc le récit pessimiste de l’aventure de la conscience confrontée à une aptitude caractéristique de la nature humaine : la désobéissance, souvent vécue à notre époque comme la manifestation de la liberté.
L’autre enseignement est que l’initiation n’est jamais complète, jamais totalement aboutie.
Le mythe d’Orphée aujourd’hui
Les aventures d’Orphée et Eurydice sont-elles toujours d’actualité ? Oui, si l’on considère que ces deux personnages sont la représentation concrète d’une pièce qui se joue dans le cadre d’une initiation.
L’initiation comporte deux aspects distincts : une admission à la pratique des rites et donc la mise sur la voie, et un objet auquel ces rites conduisent. Et c’est cet objet final qui nous intéresse ici.
L’objet de l’initiation ne se situe par sur le plan physique (même s’il a des effets dans ce domaine), il relève de la métaphysique en tant qu’il vise la connaissance ontologique. C’est le plan sur lequel se déroule le mythe d’Orphée, qui est à la fois la fin – la Connaissance de l’Être – et un rappel de la Voie qui y conduit.
Une question se pose cependant : comment l’homme peut-il espérer passer de l’état relatif et fini qui est le sien, au plan de l’Absolu et de l’Infini qui sont les caractéristiques du divin ? Peut-on réellement parvenir à la réalisation de l’Homme Universel en soi ?
Le mythe d’Orphée nous livre une réponse pessimiste, mais en même temps, en nous montrant le piège, nous incite à persévérer et à faire mieux qu’Orphée lui-même.
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Modif. le 14 août 2025