L’espérance : définition, approche philosophique et spirituelle. L’espérance est-elle un bien ou un mal ? Quelle différence avec l’espoir ?
Dans le récit que fait Hésiode dans son poème Les Travaux et les Jours (VIIIe siècle avant notre ère), Pandore aurait été créée par Zeus afin de se venger des Hommes pour le vol du feu par Prométhée.
Première femme humaine, Pandore est modelée d’argile et d’eau par Hephaïstos, dieu du feu et du travail des métaux, puis animée de la vie par Athéna, déesse de la sagesse et de la raison.
Pandore épouse le frère de Prométhée, dénommé Épiméthée. En déposant ses bagages dans le domicile conjugal, elle pose aussi une jarre : c’est la boîte de Pandore.
Or Homère raconte dans l’Iliade (chant XXIV, vers 527 et suivants), que Zeus détenait deux jarres :
- l’une enfermant les biens,
- l’autre contenant les maux suivants : vieillesse, maladie, guerre, famine, misère, folie, vice, tromperie, passion, orgueil et… espérance, Elpis en grec.
Pandore ouvre la jarre par curiosité. Tous les maux s’en échappent. Un seul, du fait de sa lenteur, reste au fond de la jarre : c’est l’espérance.
On peut se poser les questions suivantes :
- Pourquoi l’espérance fait-elle partie des maux ? En quoi est-elle un mal ?
- Pourquoi ne s’échappe-t-elle pas ? Est-ce à cause de sa prétendue lenteur ? Que peut-on en retenir ?
Voici une approche philosophique et spirituelle de l’espérance.
L’espérance en philosophie et spiritualité
En quoi l’espérance serait-elle un mal ? En quoi peut-elle faire souffrir ?
C’est peut-être dans la traduction du mot grec Elpis que l’on peut trouver une explication. Elpis signifie l’attente de quelque chose. Il a été traduit par espoir ou espérance.
En fait, Elpis désigne plutôt l’appréhension, la crainte irraisonnée, une forme atténuée de la peur. C’est pourquoi Elpis peut représenter le pire et le plus lent de tous les maux : la crainte qui ronge, l’attente qui consume, l’angoisse de l’arrivée des maux véritables.
Les notions d’espoir et d’espérance questionnent donc notre rapport au temps. La crainte, l’appréhension et la peur également. La projection dans le futur présente le danger d’une anticipation erronée, d’une supposition, heureuse ou malheureuse, de ce qui adviendra. Bon heur, Mal heur. Bon gré, Mal gré. Le risque de déception est omniprésent.
Aussi, la philosophie du temps vécu au présent soulage : le présent est alors un cadeau réel, effectif.
Par exemple, lorsque nous pleurons la disparition d’un proche, nous pouvons nous prendre à espérer une vie après la mort : il peut s’agir d’une projection, d’une supposition, d’une croyance. Mais ne sommes-nous pas là plutôt pour honorer les personnes qui nous entourent, qui font notre présent ? N’est-ce pas là la vraie vie ?
Notons que l’espérance fait partie des trois vertus théologales, Foi, Espérance et Charité. Le mot « vertu » vient du latin vir, principe masculin exprimant la force. L’espérance serait alors la force de traverser les épreuves. En ce sens, elle devient bénéfique. Il n’y a plus ni crainte, ni appréhension, ni peur…
En quoi l’espérance peut-elle être une vertu ?
Si l’espérance permet de traverser les épreuves et la souffrance sans mener à la destruction intérieure, alors elle est un onguent, une force, une bénédiction, une flamme à alimenter pour trouver la sortie des ténèbres, et atteindre des jours meilleurs.
A ce titre, l’optique proposée par François Euvé, jésuite, docteur en théologie et agrégé de physique, directeur de la Revue Études est singulière. Il faut d’après lui capter les signaux faibles de l’humanité, difficiles à percevoir dans le brouhaha, la confusion et l’inquiétude généralisée de notre monde occidental. Comme durant une pandémie, il nous faut être attentifs à percevoir « les gestes de solidarité, l’attention aux autres, les initiatives venant de personnes que l’on n’aurait pas pensé capables de telles actions ».
Dans son numéro consacré aux raisons d’espérer, François Euvé cite un rapport du Secours Catholique et de l’association AequitaZ sur les contributions vitales à la société de personnes que l’on considère habituellement comme déclassées, assistées ou exclues.
Dans cette étude, les hiérarchies habituelles sont inversées. Ce ne sont plus les gouvernants, les sachants, encore moins les saints et les dieux qui détiennent la capacité à agir. Ce sont bien les plus modestes qui possèdent les rênes de la solidarité, et par là, les clés de l’espérance.
La solidarité nourrit l’espérance, qui, en retour, nourrit la solidarité. Ces expériences sont modestes, peu spectaculaires, souvent invisibles médiatiquement. Elles sont pourtant bien réelles et sans doute plus nombreuses qu’on ne croit. Il importe donc de les connaître et d’en tirer des ressources pour l’action.
Dès lors, l’espérance n’est plus synonyme de salut ou de récompense future. Elle vit en chacun de nous, dans un regard, une parole, une action, un geste même modeste, dans une attitude, un élan de bienveillance, dans la discrétion, le soin apporté à l’autre, que ce soit au travail, dans sa profession, avec ses enfants, ses voisins, ses amis ou sa famille.
L’espérance surgit quand se manifeste la recherche du Vrai, du Juste, du Bien, du Bon et du Beau : l’espérance est ici et maintenant, vivante, et nourrice de l’avenir.
L’espérance devient alors palpable au quotidien, en soi, et autour de soi, et dans ce que nous percevons d’altruiste et de généreux.
Mais encore faut-il arriver à percevoir ces signes d’espérance, c’est-à-dire, à en avoir conscience. Ouvrir les yeux, voir, entendre, écouter, recevoir, oser donner le meilleur de soi-même pour faire de la vie un paradis, ne serait-ce qu’un instant, ici et maintenant, hic et nunc.
L’espérance est humaine dans la gentillesse et la solidarité de proximité, ainsi que George Orwell la décrit non pas dans 1984 ou la Ferme des Animaux, mais dans la « Common Decency », le bon sens et la dignité populaire.
L’espérance concrète
Pierre Teilhard de Chardin est appelé « prophète de l’espérance », par son biographe Gérard-Henry Baudry qui écrit :
L’espérance selon Teilhard de Chardin n’exige pas la fuite des réalités humaines ou matérielles… Elle se greffe sur les espoirs humains qui ont conduit l’humanité, depuis son émergence, à un continuel dépassement d’elle-même.
Cette forme d’espérance, humaniste, se traduit dans cette phrase de Teilhard de Chardin :
Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle ; nous sommes des êtres spirituels vivant une expérience humaine.
L’espérance se vivrait donc ici et maintenant, ensemble, auprès des autres, dans nos activités, nos pensées, nos engagements, ancrés dans les valeurs humanistes que nous partageons et diffusons, optimistes, des valeurs et des actes qui réussissent par instant à percer les ténèbres du monde.
Au final, notre espérance consiste à faire un choix pérenne : le choix de croire dans la victoire de la Vie et de l’Amour sur la mort, du Bien sur le mal, de la Lumière sur les ténèbres.
Ysabeau Tay Botner
Pour aller plus loin :
Qu’est-ce que la spiritualité ? Quel est le but à atteindre ? En quoi consiste la méthode spirituelle ? Quel lien avec la philosophie ?
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Modif. le 26 juin 2025