L’adoubement : quel est le symbolisme de cette pratique ? A quoi l’adoubement renvoie-t-il ? Voici une planche maçonnique au 1er degré.
Le désir de frapper à la porte du Temple part de l’intuition qu’un nouveau monde est possible, supérieur à l’état profane. L’individu profane veut s’améliorer, trouver son Être véritable et libérer son potentiel.
Ceci est rendu possible par la cérémonie de l’adoubement, lorsque le Vénérable Maître touche le néophyte avec l’épée flamboyante. Le feu sacré est transmis au néophyte. À cet instant, le néophyte devient pleinement frère de l’atelier.
Dans le Conte du Graal, Perceval désire ardemment être adoubé. Il se laisse guider par son ambition. Le jeune homme, qui manque d’éducation, entre à cheval dans la salle du trône et exige du roi qu’il l’adoube immédiatement. Le roi n’accède pas à sa requête. Sa préoccupation est ailleurs : il est déprimé car il vient d’être outragé par le chevalier Vermeil qui a volé sa coupe d’or.
Le jeune Perceval décide de venger le roi et de défier le chevalier Vermeil. N’écoutant que son courage, il va à la rencontre du voleur, lui fait face et le menace. Soudainement, il surprend son adversaire et lance son javelot : « Avant qu’il y prenne garde ou qu’il n’ait rien vu ou entendu, le coup a traversé l’œil du chevalier et atteint le cerveau. Le sang et la cervelle jaillissent par la nuque. La douleur le fait défaillir. Il tombe à la renverse et gît tout à plat ».
C’est ainsi que Perceval, vainqueur du combat, s’empare des armes de son ennemi et rend sa coupe au roi. Perceval signifie « celui qui perce la vallée ».
Le jour de notre initiation s’exprime aussi par une pulsion brutale, désinhibée. Nous avons frappé un grand coup à la porte du Temple, en profane. Nous avons interrompu les travaux et puis nous avons pénétré dans le Temple. Tout commence à la colonne B, Boaz, « en force ». Cette volonté brute demande à être maîtrisée, réorientée par la cérémonie de l’adoubement.
Entrons plus avant dans le symbolisme de l’adoubement à travers cette planche maçonnique au 1er degré.
Origine et symbolisme du rituel d’adoubement
Le mot « adouber » dérive du bas latin adobare, qui signifie équiper ou préparer. Un homme adoubé est un guerrier en armes.
Selon l’historien Jean Flori, l’adoubement devint une cérémonie rituelle progressivement, accompagnant la mise en armes des chevaliers. Plus tard, elle devint une cérémonie strictement symbolique pour des organisations ésotériques, notamment les Rose-Croix, rappelant l’importance de la combativité et des vertus chevaleresques dans le cheminement initiatique.
C’est l’acte d’adoubement qui nous a fait francs-maçons. « Je vous crée, constitue et reçois apprenti franc-maçon », dit le Vénérable Maître au néophyte. Après avoir prêté serment, le profane devient néophyte, mais seul l’adoubement fait véritablement de lui un Frère. Vœux solennels, engagement, combativité, serment, courage, honneur, charité : autant de vertus héritées de la noblesse médiévale sont exigées de l’initié.
Pour l’adouber, le Vénérable Maître associe l’épée flamboyante, symbole du pouvoir spirituel, et le maillet, symbole du pouvoir temporel. Le néophyte s’agenouille devant le Vénérable Maître pour devenir purement réceptif, « récipiendaire ». Il s’identifie alors à la coupe d’or que Perceval rapporte au roi. Les quatre épreuves et les trois voyages l’ont purifié. Il s’apprête à recevoir l’essence de la transmission initiatique.
Le maillet transmet la loi, l’ordre, la rigueur, et l’épée flamboyante transmet le feu sacré, le désir de Connaissance, l’Amour ardent pour nos semblables.
Les trois coups de l’adoubement
Un premier coup de maillet sur la lame de l’épée posée sur la tête du néophyte, un deuxième coup de maillet sur la lame posée sur l’épaule gauche, un troisième coup de maillet sur la lame posée sur l’épaule droite.
Par cette frappe, trois fois répétée, le Vénérable Maître dépose le feu sacré dans l’initié : volonté de connaître, de pratiquer et de travailler, volonté qui, plus jamais, ne s’éteindra.
Par les trois coups pénétrants, sur la tête et les épaules, le Vénérable Maître esquisse le Delta et reconnaît dans le néophyte la présence du Grand Architecte de l’Univers. Lorsqu’il exécute le signe d’ordre, l’initié menace de se séparer la tête du corps s’il devenait parjure à ses engagements. Au contraire, l’adoubement sanctuarise le cou et unifie la tête et le corps dans le triangle sacré. L’unité du corps symbolise l’unité de l’être.
L’action du maillet distingue notre rituel d’adoubement des cérémonies médiévales. En effet, dans les romans de Chrétien de Troyes, un simple contact de l’épée sur le futur chevalier suffit pour adouber.
Les coups de maillet du Vénérable Maître sur l’épée rappellent les gestes d’un forgeron transformant la matière. Nous le savons, les métaux sont porteurs d’un symbolisme négatif et doivent être laissés à la porte de la Loge ou transmutés en une forme plus pure. L’adoubement réifie le néophyte, perçu comme une matière à travailler, analogie de l’action du maillet et du ciseau sur la pierre brute.
L’adoubement au Rite Écossais Ancien et Accepté évoque donc un travail artisanal effectué par le Vénérable Maître.
L’initié est-il un chevalier ou un ouvrier ?
A l’origine, l’adoubement est une cérémonie qui sert à anoblir les individus.
Pourtant, le symbolisme opératif des deux premiers degrés fait de l’initié un ouvrier ancré dans la réalité matérielle. Il apprend le maniement des outils. Il travaille la pierre brute à la gloire du Grand Architecte de l’Univers. Il perçoit un salaire et tire profit de l’initiation. Il valorise l’effort et le mérite, vertus associées au travail. Il cherche à vivre en harmonie avec la matière. René Guénon parle d’une « initiation de métier ».
On pourrait dès lors s’étonner que ce modeste travailleur besogneux et prudent soit adoubé. La noblesse se constitue généralement par héritage, justifiée par une supériorité ancestrale. Les rites d’adoubement maçonnique constituent une exception et permettent l’accès des plus modestes aux responsabilités les plus hautes.
De même, les manières rustres de Perceval et son instruction insuffisante n’empêchent pas son devenir glorieux au service du roi Arthur, au service de la quête du Graal. Un simple écuyer peut donc devenir chevalier s’il le mérite. Les profanes qui rejoignent notre Ordre sont recrutés dans toutes les couches de la société, dès lors qu’ils ont les caractéristiques et la motivation nécessaires.
Le monde profane tend à nous figer dans un état social ; l’initiation tend à nous en délivrer. L’initié, en cumulant différents états dans l’état unifié de maçon-adoubé, de travailleur et de noble, met fin aux oppositions factices du monde profane et restaure en lui-même l’unité perdue au sein de la société. Le maillet du Vénérable Maître rappelle le monde du travail alors que l’épée évoque la noblesse, la proximité avec le divin.
Épilogue du Conte du Graal
Ayant fait la preuve de sa bravoure en tuant le Chevalier Vermeil, Perceval obtient enfin son adoubement rituel par Gornemant de Goort, un chevalier sage et expérimenté.
Celui-ci le met en armes, le prend sous son aile et lui enseigne les rudiments de la chevalerie. Il lui donne l’instruction qui lui fait défaut : valeurs chevaleresques, techniques de combat, bonnes manières à adopter en société.
Dès lors, Perceval poursuit son cheminement. L’une des aventures les plus marquantes sera sa visite au château du Roi Pêcheur, roi très malade dont le royaume se délabre. Lors d’un repas, il assiste à une procession mystérieuse où le Graal est porté devant lui. Émerveillé par ce spectacle, il garde le silence, conformément aux instructions de Goort qui lui a conseillé de rester discret. Il apprend par la suite qu’il aurait pu sauver le Roi Pêcheur en posant les bonnes questions sur le Graal. Plus tard, il cherchera à retrouver le château et ses habitants, en vain…
En travaillant la pierre brute, l’initié peut parfois perdre sa spontanéité originelle. Perceval a su maîtriser ce qu’il y avait de barbare en lui. Mais il a perdu sa spontanéité et ses intuitions. Nos intuitions sont fugaces, difficilement exprimables et parfois aussi insaisissables que le Graal. L’initié évolue sur cette ligne de crête. Son perfectionnement moral et la rigueur rituelle participent à sa délivrance. En aucun cas, cela ne doit l’inhiber.
Conclusion : s’armer, pour quoi faire ?
Le roi Arthur règne grâce à Excalibur, une épée magique et lumineuse dont il tire sa légitimité. Le rituel nous rappelle que notre pire ennemi est à l’intérieur de nous : il nous avilit, il nous empêche de voir ce qu’il y a de noble en nous.
La pointe de l’épée flamboyante, dirigée vers le zénith, nous montre la direction. La lame tranchante sépare le bien du mal. La flamme nous éclaire. Jésus disait : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée ». Ce qui signifie que l’épée, c’est le Verbe. Et le Verbe, c’est l’épée.
L’initié est un guerrier qui combat avec ses mots. Avec ses mots, il combat ses démons, ses défauts et ses vices. Vigilance et persévérance : petit à petit, il met à distance la partie impure de lui-même…
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Modif. le 24 juillet 2025