Qu’est-ce que la tradition ? Les traditions sont-elles menacées ? Comment définir la tradition maçonnique ? Voici une planche au 1er degré.
Une véritable tradition n’est pas ce que d’autres on fait, c’est retrouver l’esprit qui fait de grandes choses.
Paul Valéry
Paul Valéry écrit aussi :
La tradition et le progrès sont deux grand ennemis du genre humain.
On trouve aussi cette variante :
La vraie fidélité dans les grandes choses n’est pas de « refaire ».
Ici, la vraie fidélité à la tradition pourrait tout simplement être interprétée comme le fait de respecter ce qui a été fait. Mais est-ce suffisant ?
Dans cette planche, nous allons tenter de cerner ce qui constitue la « vraie tradition » et ce qui en établit la pérennité.
Bien sûr, on oubliera pas que la « vraie tradition » depuis l’Antiquité est orale et non écrite. Il existe donc un risque dans ce domaine : la tradition qui se transmet de personne à personne, de génération en génération est susceptible de subir des déformations au cours du temps.
Comment être certain de transmettre une tradition vivante, sans trahir ?
Tentons de donner une définition de la tradition.
La tradition : définition
La tradition (du latin traditio : « action de transmettre ») est la transmission de doctrines, de légendes, de coutumes, de rites et d’usages sur une longue période. C’est aussi une manière d’agir ou de penser, transmises de génération en génération.
Luc Benoist (Signes, symboles et mythes) précise que l’état originel de la tradition peut être représenté par le concept de centre primordial. Mais une décadence naturelle, génératrice de spécialisation et d’obscuration, a creusé un hiatus croissant entre ceux qui transmettent et ceux qui reçoivent le message…
Quoi qu’il en soit, la tradition peut être définie comme un dépôt qui remonte à l’origine du monde, qui en véhicule la connaissance principielle, mais avec le risque permanent de s’en éloigner. Si la tradition est une à l’origine, elle change de forme au cours de l’Histoire, s’adapte, se modifie. Dans des cas extrêmes, elle peut s’égarer ou perdre son sens.
La tradition cherche à transmettre des approches de la connaissance de l’univers, une compréhension de l’essence même des choses sous des formes adaptées aux peuples et aux civilisations qu’elle touche. De nos jours, ce concept reste vivant, mais en partie dénaturé car relativement détaché de son contexte universel.
Ainsi, la tradition désigne la transmission continue d’un contenu culturel à travers l’Histoire depuis un événement fondateur ou un passé immémorial. Mais la tradition n’est pas le passé. Elle est même ce qui ne passe pas. Elle nous vient de loin, mais elle est toujours actuelle. Elle est notre « boussole intérieure, l’étalon des choses qui nous conviennent et qui ont survécu à tout ce qui a été fait pour nous changer » (Dominique Venner, Le Choc de l’Histoire, 2011).
Les traditions nous aident à construire notre identité. Le poète Patrice de la Tour du Pin dit :
Tous les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid.
Antoine de Saint-Exupéry écrit :
Les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l’espace… Et je ne connais rien au monde qui ne soit d’abord cérémonial car tu n’as rien à attendre d’une cathédrale sans architecte, d’une année sans fêtes, ni d’une patrie sans coutume.
Voilà donc l’aspiration de celui-là même qui se veut le plus « moderne », de se rattacher à tout ce qui constitue son origine.
D’autre part, l’évolution de nombreuses sociétés montre bien que la modernité n’est pas l’antithèse de la tradition. La plupart du temps, la modernité, même quand elle se présentait comme une rupture, s’est construite à partir d’éléments de tradition.
Mais il faut reconnaître que certaines traditions se sont perdues. Les modifications rapides de la société et des modes de vie a porté un coup très dur aux traditions. Or l’intérêt de la tradition est bien de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Il y a là un rapport profond avec le fait de se raccrocher à une identité, à des racines qui donnent du sens à la vie.
La tradition en franc-maçonnerie
Les obédiences maçonniques traditionnelles se réfèrent aux Anciens Devoirs. Elles pratiquent le rituel et le symbolisme en tant que moyens d’accès au contenu initiatique de la franc-maçonnerie.
Rappelons-le, la franc-maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité et la recherche de la vérité, qui se nourrit de différents traditions antiques, religieuses, chevaleresques, hermétiques ou de compagnonnage.
Les loges partagent le fait de travailler à couvert, de pratiquer l’ordre, les signes, les attouchements et les mots, entre autres. Les loges veillent au maintien des traditions de l’Ordre.
Négrier écrit, dans Les symboles maçonniques, « la tradition est la transmission à l’Homme d’une parole que l’Homme n’a pas créée ». La tradition revêt alors deux sens différents : d’une part la source de la Connaissance et d’autre part son mode de transmission.
En maçonnerie traditionnelle, sur l’autel des serments, le Volume le la Loi sacrée est ouvert au prologue de Jean : nous trouvons ici la genèse de la Tradition maçonnique ainsi qu’un outil de transmission. Mais la transmission se fait surtout de manière orale, vivante : c’est la dimension initiatique de l’Ordre. Par ailleurs, notre devoir de franc-maçon est de transmettre la tradition.
Lors de son installation, le Vénérable Maître s’engage par serment et sur son honneur à obéir à la Constitution, aux Règlements Généraux, et à en faire assurer le respect par tous. Par ailleurs, l’Orateur est garant de la tradition de l’Ordre. Quant au Frère Expert, il doit être instruit de tout ce qui constitue la Tradition et le symbolisme maçonnique. Enfin, les Surveillants, comme tous les FF., doivent transmettre l’enseignement et la méthode maçonniques aux Apprentis et Compagnons. Ainsi, chacun à son rôle à jouer dans la transmission de la tradition.
L’évolution de la franc-maçonnerie
Si les traditions ont peu évolué, ce sont bien les modes de transmission qui connaissent des changements au fil du temps. En effet, les nouveaux modes de vie, les nouvelles technologies impactent naturellement les pratiques relatives à la transmission.
En parallèle, on peut s’étonner, voire s’inquiéter des trop nombreuses modifications apportées aux rituels. Ces modifications voulues par les dirigeants des obédiences sont souvent infondées, à moins que ce ne soit pour réintroduire du sens là où il aurait été perdu, ce qui reste à démontrer.
Au-delà de ces considérations, il faut reconnaître que le socle des traditions maçonniques a lui-aussi évolué. Les landmarks, par exemple, ont beaucoup changé au fil du temps. Certains landmarks ont dû être abandonnés car incompatibles avec l’évolution de la franc-maçonnerie et de la société. Par exemple, beaucoup d’obédiences ont renoncé à imposer la croyance en Dieu ou encore la non-mixité, deux landmarks pourtant fondamentaux à l’origine.
Oui, la franc-maçonnerie évolue, et cela vaut aussi pour la franc-maçonnerie dite « traditionnelle ». Les changements technologiques, politiques, sociaux, écologiques, nous amènent à repenser nos pratiques en profondeur, y compris dans nos manières de communiquer vis-à-vis de l’extérieur.
Au cours des deux derniers siècles, les obédiences et les rites maçonniques se sont multipliés à travers le monde, avec des différences de plus en plus marquées, un fossé de plus en plus grand entre les pratiques. Chacun se revendique de la meilleure « tradition ». La tradition, ce concept à dimension universelle, semble menacé de relativisme : quel paradoxe…
La tradition maçonnique originelle est-elle pour autant menacée ? Pas si sûr. En réalité, tous les francs-maçons du monde peuvent se revendiquer de la même tradition : celle de la quête de la sagesse et de la vérité, celle de l’effort de connaissance et de maîtrise de soi-même, celle de la fraternité.
Tout franc-maçon qui travaille à comprendre le monde, qui cherche à s’améliorer et à mieux se connecter aux autres, se place dans la Tradition. Cette Tradition-là est insensible aux évolutions du monde matériel ; elle permet d’ouvrir un espace sacré, un territoire de l’Esprit aux valeurs absolues et universelles, dans lequel l’individu pourra en conscience se reconnecter à tous ceux qui, à travers les temps, ont tenté d’aborder l’Inconnaissable…
Il est beau qu’au cours des âges, en dépit d’un progrès niveleur, dévorateur, le goût inné pour le merveilleux, le mystérieux, l’imaginaire, ne soit aussi altéré qu’on veut bien le dire et que la pratique des us et des vieilles coutumes se soit maintenue partiellement, ça et là, dans une heureuse tradition.
Jean Gavot
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Modif. le 24 septembre 2025