L’humour en philosophie : vice ou vertu ? Quels sont ses effets positifs et négatifs ? Tentative de définition de l’humour et de l’ironie.
Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux.
Alphonse Allais
Le mot « humour » semble être né le 10 avril 1711 en Angleterre, dans la revue Spectator sous la plume d’un certain Addison.
L’humour est un mécanisme complexe qui repose sur la surprise, le décalage ou le côté absurde. C’est aussi une pratique sociale destinée à renforcer les liens au sein d’un groupe, en relâchant les tensions et en partageant des émotions positives. L’humour peut aussi être utilisé pour critiquer ou dénoncer de manière subtile, en abordant des sujets sérieux sous un angle léger.
Nous vivons aujourd’hui dans un océan d’humour : une multitude d’humoristes professionnels ou occasionnels nous abreuvent d’imitations et de bons mots. L’humour a même ses prix et ses récompenses. En parallèle, l’ironie se développe sur les réseaux sociaux, virant souvent au sarcasme.
L’humour est parfois abordé comme une thérapeutique, utilisé dans des psychothérapies pour faciliter les rapports avec les autres et l’insertion dans un groupe. L’humour aurait aussi le pouvoir de réduire les sensations de douleur, de renforcer le système immunitaire, d’améliorer les fonctions cognitives et même de prévenir les maladies cardio-vasculaires… Il libérerait la dopamine, neurotransmetteur primordial dans les sensations de plaisir.
Mais qu’est-ce au juste que l’humour ? Quelle différence avec l’ironie ? Quel ressort, quel mécanisme ? L’humour est-il une vertu ?
Tentons une définition philosophique de l’humour.
L’humour : définition philosophique
L’humour est une forme d’expression qui vise à provoquer le rire ou l’amusement. Il peut utiliser des mots, des situations, des gestes ou des images. Il peut reposer sur l’absurdité, l’ironie, la satire ou le jeu de mots. Il a pour but de dédramatiser des situations, de critiquer avec légèreté ; il peut être utilisé pour divertir, éduquer ou même influencer.
En réalité, l’humour présente des formes très variables, de la plaisanterie à la moquerie, avec un côté très subjectif, plus ou moins bien accepté, plus ou moins bien reçu.
L’humour est-il une vertu ?
En tous cas, l’humour ne figure pas parmi les quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, force, justice), ni parmi les trois vertus théologales (Foi, Espérance et Charité) ; il ne relève pas non plus des grandes vertus que sont la tolérance, la bienfaisance et la solidarité.
Pire, en suscitant le rire, on peut légitimement se demander si l’humour ne s’oppose pas à la vertu.
Le terme « vertu », en effet, pris dans son sens général, traduit l’amour et la pratique du bien, ainsi que la perfection morale.
Aristote, comme beaucoup de philosophes, affirme que « la vie heureuse exige du sérieux et bannit la puérilité ». D’où une première observation : pour être heureux et respectable, l’homme vrai devrait fuir le rire et rester sérieux.
Il est vrai le fait de faire rire aux dépends de quelqu’un n’évoque pas spontanément l’amour du prochain…
Cette défiance à l’égard du rire est restée profondément ancrée au fil des siècles. Colin de Placy, libre philosophe influencé par Voltaire, auteur du Dictionnaire infernal, affirmait en 1663 :
Le rire est un caractère d’ineptie plutôt que d’intelligence : les hommes supérieurs sont généralement graves. L’habitude des grandes pensées rend presque toujours indifférent aux petites choses qui sont en possession d’exciter le rire.
Le rire au sens de sarcasme a longtemps évoqué Satan, être cynique à l’ironie froide et malveillante, qui rit, alors que l’homme religieux ne rit pas. Les principes moraux ont longtemps considéré la moquerie comme une pratique malsaine, un péché aux conséquences préjudiciables.
Dans la tradition judéo-chrétienne, le Dieu Unique ne rit ni ne sourit… à la différence du Bouddha qui est représenté le sourire aux lèvres.
Rire et ironie
En réalité, il faut distinguer le rire et l’ironie, cette dernière étant la plupart du temps considérée comme un vice.
Mais il est parfois difficile de faire la différence entre l’humour et l’ironie : on connaît l’humour grinçant et l’ironie légère par exemple… Un bon mot peut se révéler innocent ou être pris pour une attaque personnelle.
Il est généralement admis que si l’ironie est la plaisanterie qui se cache sous le sérieux, l’humour est le sérieux qui se cache sous la plaisanterie.
Et pour certains, alors que l’ironiste, sorte d’esthète nihiliste et destructeur, dirigerait ses flèches contre autrui pour le discréditer, l’humoriste, qui se moque d’abord de lui-même, porterait un regard plein de sympathie, de tendresse et de tolérance eu égard à l’état du monde.
L’humour serait, en quelque sorte le comique charitable, l’ironie dotée de bonté. Et lorsqu’il est satirique, l’humour apporterait l’espoir aux opprimés.
On pourrait alors affirmer que l’humour est un eudémonisme : une sorte de vertu, une forme raffinée de l’esprit.
L’humour et la sagesse : une philosophie du rire
Pour Judith Stora-Sandor, spécialiste de l’humour juif (humour qui n’est exempt ni de scepticisme ni d’ironie), il existerait plus d’une affinité entre l’humour et le pilpoul, c’est-à-dire le raisonnement de l’exégèse talmudique. Elle fait observer qu’en yiddish le même mot khokhme signifie, suivant les contextes, « plaisanterie » ou « sagesse ».
Puisqu’il est question de sagesse, citons aussi le professeur Serge Provost dans Ethique de l’humour :
L’humour témoigne d’une attitude morale caractérisée par un détachement amusé et critique envers soi, les autres et le monde qui nous entoure. D’aucuns parlent même d’une forme élevée de sagesse.
Sagesse libératrice si l’on suit Freud qui, dans son livre Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905), affirme :
L’essence de l’humour réside en ce fait qu’on s’épargne les affects auxquels la situation devrait donner lieu et qu’on se met au-dessus de telles manifestations.
Autrement dit l’humoriste, refusant de se laisser atteindre par les tourments du monde extérieur, tenterait de se placer en recul, en hauteur.
Mais comme rien n’est simple, Freud nous met en garde :
Ces deux derniers traits : démenti de la réalité, affirmation du principe du plaisir rapprochent l’humour des processus régressifs ou réactionnaires connus en psychopathologie.
Ainsi, l’excès d’humour, tel l’excès de drogue, serait un signe de névrose…
La frontière entre humour et ironie
Hormis les remarques de Freud et les critiques de ceux qui abhorrent le rire en le mettant du côté du désordre, on s’accorde à prêter à l’humour de multiples fonctions positives.
On peut cependant rester sceptique face à une telle glorification de l’humour et à une telle acrimonie à l’égard de l’ironie. Car la frontière entre les deux ne sont pas si nettes : il existe en effet une zone grise où l’ironie peut devenir vertueuse.
Dans son ouvrage De l’ironie à l’humour, un parcours philosophique, Lucien Guirlinger écrit :
Socrate érigea l’ironie en méthode de dévoilement et si possible de dépassement de nos contradictions internes. Son souci étant de faire voler en éclats les prétendus savoirs et les fausses assurances de ses interlocuteurs par une suite de questions dont l’implacable logique accule le questionné à reconnaître avec son ignorance et son impuissance, l’énormité de ses prétentions.
N’est-ce pas là l’un des buts de la philosophie ? L’humour devient alors une méthode philosophique et même un art de vivre.
De même, les philosophes cyniques pratiquaient l’ironie, notamment Diogène de Sinope qui multipliait les remarques mordantes et méprisantes pour pointer le manque de bon sens et d’authenticité de ceux qui se prenaient pour de grands philosophes.
A ce sujet, Freud écrit :
Tous les hommes ne sont pas également capables d’adopter l’attitude humoristique : c’est là un don rare et précieux et à beaucoup manque jusqu’à la faculté de jouir du plaisir humoristique qu’on leur offre.
Ainsi, dans certains cas, l’ironie est, comme l’humour, un moyen de feindre de prendre une chose au sérieux pour mieux en démontrer le ridicule et ainsi appeler la cible à la modestie, à l’humilité. Le message est parfois reçu, parfois non reçu, parfois mal reçu :
On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui.
Pierre Desproges
Conclusion sur l’humour en philosophie
D’après certains spécialistes, pour être apte à l’humour il faut être légèrement dépressif, éprouver un sentiment de culpabilité, posséder une agressivité latente, être soucieux de ne pas se soumettre aux normes et si possible avoir eu une enfance malheureuse. En bref, être un esprit rebelle !
Ceci dit, on rencontre aussi, et c’est heureux, des êtres goûtant l’humour qui ne connaissant pas nécessairement de tels maux.
L’humour peut être le signe d’une maladie, où à l’inverse une sorte de traitement. Il peut être sagesse (recul, apaisement) ou égarement (colère, amertume). Il peut être positif ou négatif, noblesse ou bassesse. Il peut être vertueux ou au contraire cruel, injuste. Il peut faire rire ou blesser.
L’humour en dit beaucoup sur celui qui le pratique et celui qui le reçoit. Dans tous les cas, l’humour est une arme qu’il faut savoir maîtriser.
L’humour est toujours vertueux s’il fait sourire, s’il « provoque une secousse jouissante où se renouvelle un lien social » comme le dit Daniel Sibony (Les sens du rire et de l’humour).
Dans tous les cas, il faut être en mesure de comprendre que celui qui pratique l’humour tente de surmonter ses blessures, ses traumatismes anciens, et de recueillir notre empathie.
Quoi qu’il en soit, il est important, avant de pratiquer toute forme d’humour ou d’ironie, de ne pas tomber dans l’excès…
Qu’ils sont pénibles ceux qui se réunissent et demeurent ensemble toute la journée, qui ne disent rien de juste et se plaisent à faire de piètres jeux d’esprit ! Ils ne peuvent atteindre la Vertu.
Confucius
Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui fait le poison.
Paracelse
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Modif. le 8 juillet 2025