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Le libre arbitre : une illusion ?

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Qu’est-ce que le libre arbitre ? Une illusion ou une réalité ? Le libre arbitre existe-t-il vraiment ? Quelques sont les preuves de son existence ou de son inexistence ?

Définition : Le libre arbitre est la faculté de l’être humain de penser, décider et agir librement, par lui-même, sans aucune influence extérieure.

La notion de libre-arbitre est intimement liée à celle de liberté (voir notre article sur la différence entre libre arbitre et liberté).

Certains philosophes pensent que l’homme est totalement libre de ses pensées et de ses actes, ce qui le place en position de responsabilité. D’autres au contraire pensent qu’il est largement déterminé par les facteurs extérieurs.

Voyons si le libre-arbitre est une illusion ou une réalité.

Le libre arbitre dans la religion : la question de la prédestination.

Érasme de Rotterdam (1467-1536) croit en l’existence du libre arbitre : selon lui, l’homme est responsable de ses actes devant Dieu.

A l’inverse, Martin Luther (1483-1546, fondateur du protestantisme) défend la thèse de la prédestination, c’est-à-dire qu’il considère que les individus sont prédestinés dès leur naissance au salut ou à la damnation : certains seront délivrés du péché (ou d’eux-mêmes…), d’autres non.

Pour Pic de la Mirandole (philosophe et théologien italien, humaniste, 1463-1494), l’homme bénéficie d’une totale liberté de jugement :

Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites ; toi aucune restriction ne te bride, c’est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t’ai mis dans le monde en position intermédiaire, c’est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t’avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Jean Pic de la Mirandole, De la dignité de l’Homme. 

La thèse de Pic de la Mirandole semble pourtant largement contredite par les faits.

Le libre arbitre : une illusion ?

Pour savoir si le libre arbitre est une illusion ou une réalité, prenons un exemple simple : Monsieur Durand décide qu’il ira désormais au travail à vélo au lieu d’emprunter sa voiture.

Cette décision, Monsieur Durand a l’impression qu’il ne la doit qu’à lui-même : il l’a prise en toute liberté, sans en parler à personne, conformément à ses valeurs propres. Selon lui, prendre le vélo pour aller travailler est moins polluant et meilleur pour sa santé.

Pourtant, cela ne prouve pas que Monsieur Durand a utilisé son libre arbitre. Car sa décision a en réalité été influencée par un nombre infini de facteurs :

  • l’éducation et la culture qu’il a reçues,
  • la société et le groupe social dans lequel il évolue (origines, fréquentations, rencontres),
  • l’information qu’il reçoit des médias,
  • les discussions qu’il a avec les gens qu’il côtoie,
  • son vécu et son expérience,
  • l’économie de son foyer,
  • ses prédispositions physiques, mentales et psychologiques héritées de ses ancêtres,
  • etc.

Ainsi, la décision de Monsieur Durand est déterminée par un grand nombre de causes, dont il n’est pas vraiment conscient. Ces causes qui proviennent elles-mêmes d’autres causes, plus lointaines. Si Monsieur Durand était né dans un autre milieu social, ou s’il avait d’autres caractéristiques physiologiques, il n’aurait peut-être pas pris la même décision.

Le sentiment de Monsieur Durand d’avoir décidé de manière libre est donc une illusion. Pour Spinoza, le libre arbitre est une illusion qui vient de ce que l’homme a conscience de ses actions mais non des causes qui le déterminent à agir.

La liberté n’est que l’ignorance des causes qui nous déterminent. Spinoza

Pour Spinoza, la vraie liberté consiste donc à briser l’illusion que nos pensées sont libres : quel paradoxe !

Enfin, aux XIXème et XXème siècles, nombre de sociologues, philosophes et médecins ont mis en évidence les causes qui déterminent nos pensées (Marx, Freud, Bourdieu…)

L’acceptation du déterminisme : la voie vers la tolérance.

Si l’on considère que tout individu est le résultat d’un enchaînement de causes, alors cela mène à une grande tolérance. Ainsi un délinquant ou un criminel ne doit pas seulement être vu comme un homme mauvais, mais comme l’héritier d’une histoire, d’une éducation (ou d’une absence d’éducation) ou de certaines prédispositions génétiques.

Ce raisonnement conduit à la reconnaissance de valeurs essentielles : compréhension, tolérance, bienveillance. Par conséquent, le bien et le mal s’effacent. Les jugements personnels et égoïstes s’estompent. On cherche d’abord à comprendre, à se mettre à la place de l’autre, à l’aider, à l’accompagner plutôt que le rejeter et le juger (voir aussi notre article : Comment distinguer le bien et le mal ?). Ce qui n’empêche pas de punir, en particulier si la punition comporte une dimension éducative.

Le mot-clé est ici « acceptation« . Le comportement juste consiste donc à rechercher les causes, ce qui mènera inévitablement à s’interroger sur la cause première de toutes les choses, que certains appellent Dieu.

Remarque : A l’inverse, la vision selon laquelle chacun serait libre et responsable de ses actes revient à renforcer les notions de bien et de mal, donc la morale, qui précisément peut être définie comme la science du bien et du mal. Si la morale, les lois et la Justice sont indispensables à la vie en société, elles ne doivent pas dispenser de comprendre et d’aimer.

Libre arbitre et orgueil.

Nous l’avons vu, le libre arbitre est une illusion. Mais d’où vient cette illusion que nous pouvons maîtriser notre existence ? Sans doute de la conscience de nos actions, et du fait que nous nous percevons comme le centre du monde, ou le centre de notre monde. C’est notre ego qui nous y invite.

Notre ego nous amène à penser que nous sommes libres. Parfois même, il aime prouver qu’il peut résister à toutes les influences, à toutes les lois : celles de la société, celles de l’Univers…

Le péché originel d’Adam et Ève est le premier exemple de cette tentative d’enfreindre la Loi : en croquant le fruit de la connaissance du bien et du mal, les premiers hommes ont violé la première règle fixée par Dieu. Ils en paieront le prix fort… Voir notre article : L’arbre de la connaissance du bien et du mal : signification.

Ainsi, penser que nous pouvons nous écarter de notre destin et modeler le monde à notre façon est une erreur. Car en réalité, tout est ordre, et nous faisons partie de cet ordre. La vraie liberté consiste à se placer dans l’ordre des choses, à accepter et comprendre son destin, à accomplir son devoir, en conscience et en sérénité.

Il ne s’agit pas pour autant de rejeter notre ego. Car notre individualité est nécessaire à notre existence. Notre ego nous aide à ne pas baisser les bras, à jouer notre rôle pleinement, loin de tout fatalisme.

Le fatalisme.

Savoir que le libre arbitre est illusion ne doit pas nous faire tomber dans le fatalisme. Dire qu’il n’y a pas d’espoir pour un délinquant est faux : ce serait oublier que nous avons nous-même une influence sur ce qui nous entoure. Il ne tient qu’à nous d’œuvrer pour que cet individu retrouve le droit chemin, et instaurer une meilleure prévention de la délinquance.

Car nous sommes à la fois le résultat et la cause de ce qui nous entoure. Nous sommes le résultat d’une conjonction de causes, mais aussi la cause de résultats futurs. Nous sommes profondément enserrés dans le monde et dans la société, qui elle-même évolue. Nous sommes une part du tout, une part de « Dieu » (entendu comme la source des causes) et de sa volonté.

En outre, nous ne devons pas oublier que nous sommes une des causes de ce que nous allons devenir : nous avons la capacité de nous changer, en conscience.

Il ne s’agit donc pas de sombrer dans le fatalisme, mais de jouer notre rôle au maximum de nos possibilités, au meilleur de notre conscience pour incarner le progrès universel, et peut-être, l’accélérer.

Libre arbitre, destinée et conscience libre.

Il semble que chacun d’entre nous ait sa propre destinée, et que tout écart par rapport à cette dernière serait illusoire. Certes, mais cela veut-il dire qu’il faille renoncer à toute liberté ?

La liberté ne consisterait-elle pas au contraire à accepter ce que nous sommes ? A accepter notre destin, sans se juger, ni craindre d’être jugé ? A observer ? A rechercher les causes de ce qui nous entoure ?

Cela mènerait naturellement à une meilleure connaissance de soi, à une meilleure connaissance des autres, et en même temps à une meilleure connaissance de la cause des causes : Dieu.

Cette quête de Connaissance, doublée d’une élévation de la conscience, laisse entrevoir un chemin d’épanouissement et d’Amour. Car tout est interdépendant, tout est en lien avec la cause première, qui embrasse toute chose. Ce chemin est aussi celui de la paix intérieure, de l’acceptation, de la sérénité.

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Modif. le 16 novembre 2020

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