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Anarchisme et christianisme

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Anarchisme et christianisme : quelle relation ? Jésus était-il anarchiste ? Pourquoi l’anarchisme est-il lié à la spiritualité ?

Au premier abord, l’anarchisme, dont le slogan est « ni Dieu ni maître », semble incompatible avec toute forme de croyance ou de religion.

L’anarchisme (du grec anarkhia : “absence d’autorité”) est un courant politique qui s’oppose à toute autorité imposée. Il prône une société sans Etat centralisé, sans gouvernement, sans Eglise, sans hiérarchie ni classe sociale dominante. La domination et l’exploitation sont remplacées par la coopération et l’auto-gestion.

L’anarchisme n’est pas un désordre. Son but est au contraire la fondation d’une société organisée et harmonieuse. L’anarchisme peut donc être défini comme « l’ordre sans autorité » (lire aussi la différence entre anarchie et anarchisme).

Si l’anarchisme s’affranchit de tout système de croyance figé, il n’est pas incompatible avec la spiritualité. Pour preuve, il existe un anarchisme chrétien, juif, bouddhique et taoïste.

L’anarchisme religieux ou spirituel est d’abord une résistance aux tentatives des Eglises d’imposer un système hiérarchique centralisé autour de dogmes indiscutables. Pour les anarchistes mystiques, la seule autorité acceptable est celle de Dieu, selon l’effort de recherche et d’interprétation de chacun.

Nous nous intéressons dans cet article à l’anarchisme chrétien, mouvement décrit entre autres par Léon Tolstoï (écrivain russe, 1828-1910) et Gueorgui Tchoulkov (poète russe, 1879-1939), et mis en pratique dans de nombreuses communautés à travers le monde.

Tentons de voir les liens philosophiques entre anarchisme et christianisme.

Anarchisme et christianisme dans l’Ancien et le Nouveau Testament

Dans l’Ancien Testament, le peuple élu est victime à plusieurs reprises du joug des autres nations. C’est notamment l’esclavage imposé par le pharaon d’Egypte ou l’exil forcé à Babylone suite à la destruction du Temple en -587. La domination romaine suivra.

Le judaïsme se fonde sur ces épisodes tragiques ; le peuple hébreu tente à plusieurs reprises de fonder une nation libre, paisible et harmonieuse. Un objectif qui ne peut être réalisé que par l’alliance avec Dieu et l’arrivée du Messie.

Ce dernier annonce un monde sans arme, sans guerre, une ère d’Amour et de rédemption : c’est le retour à l’authenticité du jardin d’Eden, ce paradis perdu.

Mais c’est dans le Nouveau Testament que les liens entre anarchisme et christianisme sont les plus évidents.

Dans le Nouveau Testament

Le récit du Nouveau Testament se situe dans une période troublée : à la naissance de Jésus, la Judée est vassale de Rome (cf. le règne des Hérode, rois tyrans). Puis elle devient une simple province romaine en l’an 6, directement gérée par les procurateurs romains.

Les recensements (rendus nécessaires pour la levée des taxes) et les impôts sont contestés. Les percepteurs, véritables collaborateurs de Rome, sont haïs pour la terreur fiscale qu’ils imposent. La population se révolte contre Rome et des milliers de Juifs sont crucifiés. Les émeutes sont partout réprimées dans le sang.

De nombreux passages du Nouveau Testament font état de ce climat de guerre civile. L’injustice et l’oppression sont partout. Les puissants ont tous les droits sur le petit peuple. Les membres du Sanhédrin (tribunal religieux juif) sont complices des Romains.

Or Jésus s’insurge contre cet état de fait. Il remet en cause ce système de domination et d’asservissement. Il propose une société nouvelle fondée sur la Loi de l’Ancien Testament, mais aussi sur des valeurs novatrices qui permettront l’épanouissement de chacun.

Jésus était-il anarchiste ?

Dans le contexte du début du Ier siècle, les paroles de Jésus ont une résonnance clairement anarchiste.

La dénonciation de l’argent, du pouvoir et de la domination

Jésus dénonce les riches qui ne prêtent pas attention aux pauvres (voir par exemple Luc 16, 19-31).

Il dénonce les marchands, les puissants, les ambitieux, et tous ceux qui occupent des places importantes, y compris au sein de l’Eglise.

Gardez-vous des scribes, qui aiment à se promener en robes longues, et à être salués dans les places publiques ; qui recherchent les premiers sièges dans les synagogues, et les premières places dans les festins ; qui dévorent les maisons des veuves, et qui font pour l’apparence de longues prières. Ils seront jugés plus sévèrement.
Luc 20, 46-47

Arrivé à Jérusalem, Jésus entre en colère contre les marchands du Temple :

Il trouva dans le temple les vendeurs de bœufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis. Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables ; et il dit aux vendeurs de pigeons : Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
Jean 2, 14-16

Jésus appelle à la fondation d’une société où les « grands » seraient au service de tous :

Jésus les appela, et leur dit : Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les dominent. Il n’en est pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous.
Marc 10, 42-44

Jésus montre l’exemple en s’abaissant devant les pauvres et en lavant les pieds de ses disciples. Il compatit avec les opprimés (cf. les Béatitudes).

Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers.
Matthieu 20, 16

Car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé.
Luc 14, 11

Pour Jésus, et c’est là le coeur de sa pensée anarchiste, personne ne peut s’approprier le pouvoir et la morale. Car personne n’est légitime à juger les autres :

Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre.
Jean 8, 7

Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.
Matthieu 7, 1

L’insoumission

Jésus se comporte comme un insoumis, il est d’ailleurs jugé pour sédition.

Une insoumission qui n’est cependant pas synonyme de résistance violente. Jésus est au contraire adepte de la non-violence, puisqu’il accepte de se laisser arrêter et conduire sur le lieu de son supplice.

C’est dans cette acceptation que le christianisme puisse sa force : celle de l’exemple.

Anarchisme et christianisme : l’amour du prochain

L’anarchisme de Jésus se fonde sur l’Amour, seule force qui puisse garantir la paix intérieure et l’harmonie sociale.

Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres.
Jean 13, 34

Cet amour est compréhension, acceptation, charité, don de soi poussé jusqu’au sacrifice pour les autres. Il passe aussi par le pardon :

Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.
Luc 23, 34

En réalité, l’Amour est le moteur de l’anarchisme : il permet une libération personnelle tout en débouchant sur l’harmonie sociale, puisque la paix et la fraternité s’imposent parmi les hommes.

La libération personnelle : l’entrée dans la vie véritable

Jésus invite chacun à s’affranchir de lui-même, c’est-à-dire à abandonner ses jugements, ses illusions, ses superstitions et ses attachements.

S’ouvre alors un espace paix et de sérénité, à la fois intérieur et extérieur :

Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous.
Luc 17, 21

Alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.
Jean 8, 32

Ainsi, le christianisme mène à la liberté et à l’épanouissement de l’Homme. Mais cet épanouissement est loin d’être un égoïsme ou un hédonisme. Il est au contraire une soumission spontanée à Dieu, c’est-à-dire le rétablissement du lien nécessaire et authentique avec le Tout, avec la Nature, avec le cosmos, avec les autres.

Anarchisme et spiritualité

Nous l’avons vu, l’anarchisme invite à se libérer de toute forme de domination et d’oppression.

L’anarchisme politique considère que cette oppression vient des autres (ceux qui veulent dominer, exploiter), c’est la raison pour laquelle il incite à la révolte, voire à la violence.

Ce serait oublier qu’il existe une autre forme d’oppression, intérieure, c’est-à-dire venant de soi-même.

Précisément, l’anarchisme spirituel ou mystique pointe la nécessité d’une libération de soi-même. Car nos véritables ennemis se cachent à l’intérieur de nous : ce sont l’orgueil, le sentiment de supériorité, l’attachement, les désirs, ou encore la méconnaissance des lois divines. Comment reprocher ces défauts aux autres alors qu’ils sont présents en nous-mêmes ?

C’est ainsi que Jésus nous invite à abandonner la colère, la haine et les préjugés afin d’entrer dans une nouvelle forme d’existence, faite de paix et de sérénité : voilà le Royaume de Dieu, voilà l’ordre véritable qui, en s’imposant dans le coeur des hommes, s’imposera naturellement dans la société.

La Bible montre le chemin du retour à l’Eden, ce lieu de bonheur et d’harmonie. C’est le chemin vers l’Arbre de vie, qui consiste à renoncer aux fruits mauvais de l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire à abandonner la morale et les jugements. Il s’agit d’entrer dans la vraie Vie.

Ainsi, la libération ne peut être que personnelle. Cet anarchisme intérieur, qui rappelle le grand Djihad du Coran, se passe de violence. Il consiste avant tout à se connaître et à se maîtriser soi-même.

Par ailleurs, l’anarchisme spirituel implique une obéissance volontaire et éclairée aux lois cosmiques, dont personne ne peut s’affranchir. C’est alors que la soumission à Dieu devient libération.

Au final, l’anarchisme véritable ne peut se passer d’une véritable spiritualité, sans laquelle il ne serait qu’un individualisme obscur.

Dans la continuité du thème « anarchisme et christianisme », lire aussi notre article : Anarchisme et taoïsme.

Pour aller plus loin :

Couverture les Essentiels de la Spiritualité Adrien Choeur

Qu’est-ce que la spiritualité ? Quel est le but à atteindre ? En quoi consiste la méthode spirituelle ? Quel lien avec la philosophie ?

Ce livre numérique pdf (216 pages) aborde les notions essentielles de la spiritualité à travers 65 textes parus sur JePense.org

Modif. le 10 avril 2024

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